Histoire De France 1724-1759 Volume 18
Le cardinal Bonzi à Toulouse adorait (et payait) madame de Ganges. La perdant, il mourut et on le plaignit fort. Au plus haut du clergé, le grand Bossuet lui-même eut, sans trop de mystère, une amie de trente ans plus jeune, qu'il protégeait de (crédit et d'argent) ( Floquet ).
Le XVIII e siècle n'est pas plus sévère. Nos philosophes, largement indulgents, dispensaient le clergé de soutenir cette gageure d'un miracle impossible. Aux faiblesses du prêtre, ils appliquaient leur mot, leur commode formule: Retour à la nature. L'affaire de la Cadière, à ce tolérantisme opposa la réalité: l' Anti-nature barbare, d'excentricité libertine, le sauvageégoïsme, le rut impitoyable et tout à coup féroce pour étouffer, enfouir, ensevelir.
Retour à la nature? à l'amour? Point du tout. Sous l'orgueil monstrueux d'un miracle de pureté, on entrevit un monde et de fangeux mystères et de crimes muets. On devint curieux de ces jardins murés, si bien clos, des couvents. On devina fort bien qu'ils gardaient quelque chose. Ils paraissaient funèbres. De nos jours, ceux de Naples, ceux de Vienne, Bologne, tout récemment ont dit pourquoi.
Que fût-il arrivé si de vrais magistrats, comprenant leurs devoirs, avaient avec la Loi pénétré ces clôtures, sondé la terre sacrée, lui eussent arraché ses secrets, évoqué ce grand peuple des enfants morts avant de vivre, ces petits os blanchis que nous retrouvons maintenant? Jusque-là le clergé était si haut, que le juge, devant ces murailles, passait discrètement et sans lever les yeux. Mais enfin la Justice, l'Humanité, grandissaient en ce monde. Fleury ne pouvait toujours vivre. Et après lui peut-être, un des hardis Jansénistes du Parlement eût pu montrer cette énorme apostume, cette suppuration souterraine des bas-fonds ecclésiastiques. Fiévreux de cet abcès, le clergé s'agitait, le clergé se hâtait, se précipitait sans mesure. Seulement ce grand coup d'octobre 1731, l'affaire de la Cadière le montrait trop, constatait qu'en criant contre les Parlements, la justice laïque, très-manifestement il voulait supprimer les censeurs de ses mœurs, et s'assurer les douces libertés d'Italie, sécurité, impunité [24] .
Maintenant si le Roi défend aux Parlements de s'occuper en rien des affaires ecclésiastiques , on comprend l'intérêt que le clergé y a. On rit. Les chansons courent. Dans la rue, tout Jésuite qui passe est suivi de ce cri: «Girard! voilà Girard!» Si l'on ne crie, on chante les airs anciens et populaires de la sainte béquille du bon Père Barnabas, ce capucin fameux, prêcheur zélé des filles, qui, surpris, leur laissa ce gage. Tabatières, habits, meubles, tout est à la Cadière, tout est à la Béquille. Et nul obstacle à ce torrent.
Les fureurs du clergé montent au comble. Ayant reçu le coup dans les reins, affaibli, il est plus violent, et s'affaiblit encore. En 1732, lorsque le Parlement, appelé chez le Roi, condamné au silence, n'obtientqu'un mot dur: «Taisez-vous!»—lorsque le vieux Pucelles, à genoux, pose aux pieds du Roi l'arrêt de résistance,—lorsque enfin ce papier remis au singe Maurepas est par lui mis en pièces,—la scène est odieuse, mais bien plus ridicule encore.
En vain, au 18 août, le clergé se décerne par la bouche du Roi l'objet de tous ses vœux, l'annulation du droit d'appel qu'avait le Parlement en abus ecclésiastiques. Rien ne sert, ni exils, ni prisons, ni enlèvements. Ceux qu'on enlève sentent qu'ils ont avec eux tout le peuple. Et c'est Versailles qui cède. En décembre, il recule. Il abandonne (sous forme de sursis) ce que le 18 août il a accordé au clergé. Celui-ci est vaincu. Il reste pour toujours soumis aux justices laïques.
Il manqua pour toujours ce qui fut son grand but secret, son tribunal à lui, dont le plan existait déjà tout préparé. Les papiers Maurepas en ont eu la copie [25] .
Ce point-là est acquis et pour l'éternité: le clergé perd l'espoir de retourner au Moyen âge, de se refaire son propre juge. L'œil de la Justice est sur lui.
Pour la royauté, il la garde, à la honte du Roi, de la France.
Ridicules au dedans, ridicules au dehors, nous sommes l'amusement de l'Europe ( Villars ).
Quelque faible, caduc, que puisse être ce gouvernement, il va et il ira de même. La mécanique est montée de façon que, sans une secousse violente, qui la détraque brusquement, il n'y a nul espoir d'arrêter. La guerre seule aurait chance de rompre
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