Histoire De France 1758-1789, Volume 19
accusations contre son fils; ses dettes étaient fort peu de chose et ses désordres moindres que ceux des autres officiers du temps. Quant à Sophie, il ne l'enleva pas; c'est elle plutôt qui l'enleva. Elle avait, à dix-huit ans, épousé un octogénaire, qui souffrait très-bien le jeune homme, l'allait chercher quand il ne venait pas. Sophie n'endura pas cet indigne partage. Elle se serait tuée si elle n'avait fui et rejoint Mirabeau.—Le fils est cent fois moins libertin que le père. Celui-ci, avec son orgueil sauvage et ses formes austères, son dur génie de style qui fait illusion, a un côté bien bas qu'on ne peut oublier. Il gagne à les faire enfermer, mange leur bien avec ses coquines.—Histoire commune alors. Elle explique pourquoi on jetait ses enfants si aisément par la fenêtre, aux couvents, aux prisons, aux colonies, etc. Pour suffire aux dépenses insensées, aux désordres, il faut des sacrifices humains. La Famille représente exactement l'État. Folie des deux côtés, et des deux côtés Déficit .—On fait grand bruit pour l'ancien monde des enfants que Tyr ou Carthage, dans de rares circonstances, dans des dangers extrêmes, jetaient au brasier de Moloch. Et l'on rappelle à peine que, bien plus de mille ans, la famille chrétienne jetait ses enfants au sépulcre. Long supplice, plus cruel peut-être. J'ai dit au XVII e siècle l'immense extension des sacrifices humains. J'ai cité la famille des Arnaud. Chez le premier, sur quinze enfants, sept filles religieuses , et qui meurent jeunes . Chez le second, sur douze enfants, six filles religieuses , qui la plupart meurent jeunes , etc. C'est bientôt dit, mais qui saura jamais ce que ces simples mots contiennent de désespoir et de dépravation? La Religieuse de Diderot (imprimée tard, à la Révolution) en est un portrait faible encore. Les grands procès ( Aix , Loudun , Louviers , la Cadière , etc.) sont des percées dans ces ténèbres. Mais rien n'éclaire l'histoire des mœurs autant que les procès des Mirabeau. Écrivant ceci en Provence, j'ai pu (grâce à mes amis d'Aix, Marseille et Toulon) lire les Mémoires et plaidoyers contradictoires de Mirabeau et de Portalis. Pièces infiniment curieuses qu'on devrait réunir, réimprimer d'ensemble. On peut y voir combien la piété filiale de M. Lucas de Montigny a atténué, adouci, supprimé. [Retour au texte]
Note 20: La folie était infaillible dans les prisons épouvantables qu'on employait depuis le Moyen âge. La plupart furent certainement, dans l'origine, des in pace ecclésiastiques. La tour de Châti-moine , à Caen, avait le sien à une profondeur de trente pieds, dans une cave, sans jour, presque sans air. Autour, de petites cellules où l'on était comme scellé dans le mur. Chacune à sa porte de fer avait un petit trou où passait le pain, les ordures. Dans cet horrible lieu, visité en 85, on trouve une femme toute nue. Une autre de dix-neuf ans y est dans une basse-fosse, les jambes dans l'eau, au milieu des reptiles. À Saint-Michel-en-Grève, cette funèbre abbaye, la fameuse cage de fer était placée dans le vieil in pace des moines, cave voûtée, pratiquée sous leur cimetière. Le prisonnier avait sur lui les morts. Du cimetière à travers la voûte, l'eau filtrait; il recevait la pluie glacée. V. MM. Le Héricher, Joly, Hippeau ( Archives d'Harcourt ), Beaurepaire ( Antiq. norm. , XXIV, 479). [Retour au texte]
Note 21: La maison de la reine, plus splendide que celle du roi, coûtait 4 millions 700,000 livres (V. le budget de 1783, État de la France en 89 , par Boileau, p. 412). Ajoutez-y les pensions de certains amis personnels: Dillon, 160,000; Fersen, 130,000; Coigny, 1 million par an ( ibidem , p. 338, d'après le Recueil des pensions , imprimé en 90 à l'encre rouge). Coigny avait de plus la Petite Écurie, qu'on supprima; il y perdit 100,000 livres de rente. La reine réduisit 1 million sur sa maison. Le roi en fit autant sur ses gardes, ses chasses, etc. Cette réforme pénible traîna fort, n'arriva qu'au 11 août; l'effet fut manqué.—La reine imaginait qu'une si noble société prendrait bien tout cela. Le contraire arriva. Coigny fit une scène épouvantable au roi et lui lava la tête. Tous parlaient, clabaudaient. Besenval assez durement dit à la reine: «Il est affreux de vivre dans un pays où on n'est sûr de rien. Cela ne se voit qu'en Turquie.» (II, 236). [Retour au texte]
Note 22: Cela est fort curieux. La majorité du Clergé
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