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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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la Reine, et que voulait Marie-Thérèse. Il renonça à rien voir ni savoir.
    La Reine avait partie gagnée. Elle ne jouit pas modestement de sa victoire. D'une part, espiègle, impertinente, elle insultait les ennemis de l'Autriche, tirait la langue à d'Aiguillon. D'autre part, sans souci des chagrins qu'en eut son mari, elle courait sans lui de nuit, de jour, disant qu'à Vienne on était libre ainsi. Louis XVI en grondait ( Bandeau ); sa mère s'en plaint en vain à chaque lettre ( Arneth ).
    Elle portait la tête haute, surexhaussée de plumes et de panaches, d'aigrettes qui menaçaient le ciel. Cette mode (odieuse à sa mère, à Mesdames) allait bien, il est vrai, à sa beauté hautaine. On a finement remarqué ( Geoffroy ) que les portraits charmants de madame Lebrun l'ont trop féminisée. Le front bombé, les yeux saillants, le nez plus qu'aquilin, et presque recourbé, eussent fait un ensemble sévère sans l'adoucissement d'un léger embonpoint et d'une incomparable peau. La lèvre inférieure faisait lippe et semblait sensuelle. Les sourcils, très-fournis, marquaientl'énergie du tempérament. Sa belle chevelure le disait mieux encore par ces tons roux et chauds qui n'ont rien de commun avec les blondes languissantes.
    Elle était colorée plus que ne le sont les grandes dames. N'aimant guère que la viande ( Arn. , 80, 88), elle était fort sanguine, avait aussi beaucoup d'humeurs et certaines crises bilieuses ( Id. , 188). Elle n'était ni gaie, ni sereine, mais toujours émue, véhémente. Par moments très-sensible et bonne: «Si touchante! écrivait sa mère ( Arn. , 53), on ne peut pas lui résister.» Mais elle était aussi emportée par instants, colère au moindre obstacle, et alors aveuglée, sans respect d'elle-même. Montbarrey en raconte une scène terrible, si bruyante, qu'un orage qui éclatait alors, passa inaperçu: on n'entendait pas Dieu tonner.
    Déjà on avait fait contre elle un très-cruel pamphlet ( Aurore ), où on lui prêtait des amants. En avait-elle avant l'avénement? quelque goût passager, quelque léger caprice? La chose est incertaine. Mais elle avait une passion très-vive, pour un très-digne objet, bon autant que charmant, madame de Lamballe. Cette jeune princesse de Savoie, Italienne de naissance et de mère allemande, était un ange de douceur. Elle avait de tout petits traits, une tête d'enfant, gentille (comme on voit au portrait de Versailles, malgré la coiffure ridicule). Plus âgée que la reine, elle semblait plus jeune, comme une mignonne petite sœur. Mariée un moment, et très-mal, elle s'était vouée à son beau-père, Penthièvre, venait peu à la cour, vivait seule avec lui dans les bois de Vernon. C'était toute uneidylle. La reine, chaque hiver, l'avait vue, et pourtant ce ne fut qu'aux courses de traîneaux (janvier 74) qu'elle fut prise au cœur. Elle la vit glisser, passer comme un éclair. «C'était le printemps dans l'hermine.» De là un vif caprice, une ardeur de tendresse, excessive, éphémère, fatale à la douce personne, faible créature sans défense, née pour se donner trop, pour aimer et mourir. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XIII.
MINISTÈRE DE TURGOT.
1774-1776.
    Ce matin, à cinq heures, dans la nuit noire encore (de ce 1 er novembre), d'autant plus éveillée, une voix intérieure m'avertit et me dit: «Qui est digne aujourd'hui de parler de Turgot?»
    Le caractère unique de ce grand stoïcien,—absolu de vertu, de force et de lumière,—n'offre qu'un seul défaut: une ardeur sans mesure et qu'on trouvait sauvage, dans l'amour du pays, l'amour du genre humain.
    Il se précipitait. En dix-huit mois, il fit l'œuvre des siècles, cent ordonnances, dont les considérants sont autant de traités forts, lumineux, profonds. Et la plupart étaient des victoires remportées sur la contradiction, après de grands débats dans le Conseil. Ce qui reste de ces débats montre sa vigueur âpre et son acharnement au bien.
    Malesherbes lui-même, son collègue, étonné: «Vousvous imaginez, disait-il, avoir l'amour du bien public. Vous en avez la rage. Il faut être enragé pour forcer à la fois la main au roi, à Maurepas, à la cour et au Parlement.»—Turgot répondait gravement: «Je vivrai peu...»
    Il devait mourir jeune. Mais, de plus, il sentait que le pouvoir allait lui échapper. Il était déplacé à Versailles, et son ministère y était une anomalie, un hasard, une erreur évidemment de Maurepas. Le plus

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