Histoire de France
recommandait la « dîme royale », c’est-à-dire un impôt de dix pour cent sur tous les revenus, sans exemption pour personne. Son système d’un impôt unique, si souvent repris, était enfantin, mais la forme seule de son livre fut condamnée. Dès 1695, Louis XIV avait créé la capitation qui frappait tous les Français sauf le roi et les tout petits contribuables, mais qui rencontra une vaste opposition, tant elle heurtait les habitudes et les intérêts. En 1710, fut institué l’impôt du dixième qui ressemblait fort à la « dîme » de Vauban, et dont se rachetèrent aussitôt à qui mieux mieux, par abonnement ou d’un seul coup, par forfait ou « don gratuit », tous ceux qui le purent, tant était grande, l’horreur des impôts réguliers. Telle avait déjà été l’origine de bien des privilèges fiscaux. Car ce serait une erreur de croire que les privilégiés, sous l’ancien régime, fussent seulement les nobles et le clergé, qui avaient d’ailleurs des charges, celui-ci l’assistance publique et les frais du culte, ceux-là le service militaire. Les privilégiés c’étaient aussi les bourgeois qui avaient acquis des offices, les habitants des villes franches ou de certaines provinces, en général nouvellement réunies, qui possédaient leur statut, leurs états, leurs libertés et qu’on tenait à ménager spécialement. De ces droits, de ces privilèges, les Parlements, « corps intermédiaires », étaient les défenseurs attitrés. Lorsque, après Louis XIV, les « cours souveraines » sortiront de leur sommeil, leur résistance aux impôts sera acharnée. De là, sous Louis XV, ces luttes entre le pouvoir, qui s’efforcera de restaurer les finances, et les magistrats opposés aux « dixièmes » et aux « vingtièmes ». Ainsi les idées dans lesquelles Fénelon avait élevé le duc de Bourgogne allaient contre celles de Vauban. Elles mettaient l’obstacle sur la route. Il importe de noter dès à présent cette contradiction essentielle pour saisir le caractère des difficultés intérieures qui se poursuivront tout le long du dix-huitième siècle.
C’est pour d’autres raisons que Louis XIV, à la fin de son règne, pensa que le retour des désordres qui en avaient rendu les débuts si incertains n’était pas impossible. Dans son esprit, ce qui était à redouter, c’était une nouvelle Fronde. Une minorité viendrait après lui. Son fils et son petit-fils étaient morts. L’héritier ? Un « enfant de cinq ans qui peut essuyer bien des traverses », disait le roi à son lit de mort. Il dit aussi : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours. »
Si Louis XIV n’a pas fondé l’État, il l’a laissé singulièrement plus fort. Il en avait discipliné les éléments turbulents. Les grands ne songeaient, plus à de nouvelles ligues ni à de nouvelles frondes. Pendant cinquante ans, les Parlements n’avaient ni repoussé les édits ni combattu les ministres ou le pouvoir. Il n’y avait plus qu’une autorité en France. Les contemporains surent parfaitement reconnaître que la force de la nation française, ce qui lui avait permis de résister aux assauts de l’Europe, venait de là, tandis que le roi d’Angleterre devait compter avec sa Chambre des Communes, l’empereur avec la Diète de Ratisbonne et avec l’indépendance des princes allemands garantie par les traités de Westphalie.
Tout ne marchait pas aussi bien dans le royaume de France que l’avait rêvé Colbert dont les vastes projets d’organisation n’avaient pu être réalisés qu’en partie, les grandes tâches extérieures s’étant mises en travers. Du moins la France avait l’ordre politique sans lequel elle n’eût pas résisté à de si puissantes coalitions, ni résolu à son profit les questions d’Allemagne et d’Espagne. On a dit que Louis XIV n’avait laissé que les apparences de l’ordre, parce que, trois quarts de siècle après sa mort, la révolution éclatait. Ce qui est étonnant c’est qu’après les cinquante-quatre ans de calme de son règne, il y en ait eu encore soixante-quinze. Notre histoire moderne ne présente pas de plus longue période de tranquillité. C’est ainsi qu’on put passer par une minorité et une régence qui ne justifièrent qu’en partie les inquiétudes du vieux roi mourant.
Voilà, dans ce règne, ce qui appartient à la haute politique. Nous avons laissé de côté tout ce qui est le domaine de la
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