Histoire de France
qu’on ne saurait calculer, de la plus grande force militaire de l’Europe. On s’efforce de la lui arracher par le désarmement. Cependant elle n’a plus de marine et elle possède un vaste domaine colonial – encore accru de la Syrie – qu’elle serait incapable de défendre : toute notre histoire enseigne que c’est une dangereuse position.
Les réparations sur lesquelles la France comptait n’étant pas payées et ne devant plus l’être depuis l’accord de Lausanne de 1932, nous sommes, en dépit de la victoire, un peuple qui a été envahi et dévasté. Le mal que l’Allemagne nous a causé avec intention nous reste et nous sommes, à cet égard, comme si nous avions été vaincus. Par ses propres moyens, par sa propre épargne, la France a déjà relevé une grande partie de ses ruines. Mais l’œuvre n’est pas finie. Elle a déjà exigé des capitaux considérables qui, ajoutés aux énormes dépenses de la guerre, forment une dette colossale qu’a encore insuffisamment réduite l’abaissement du franc au cinquième de son ancienne valeur après une période d’inflation qui a rappelé le régime des assignats. Les difficultés financières, lorsqu’elles sont très graves, deviennent des difficultés politiques : nous l’avons vu à la fin de l’ancien régime et sous la Révolution. La question des impôts, lorsque l’imposition doit être très lourde, est redoutable parce qu’elle provoque des résistances et favorise la démagogie : c’est le cas qui s’est présenté à plus d’un moment de notre histoire. Un gouvernement faible est tenté par l’expédient trop facile des assignats, qui provoque la ruine. D’autre part, compter sur les sacrifices raisonnés et volontaires de toutes les parties de la nation est bien chanceux. D’après l’expérience des siècles passés, on peut se demander si la question d’argent ne sera pas, pendant assez longtemps, à la base de la politique, si, au-dedans et au-dehors, notre politique n’en dépendra pas, si, enfin, le pouvoir ne tendra pas à se renforcer et à sortir des règles de la démocratie parlementaire pour soustraire les mesures de salut public à la discussion. Déjà, en 1926, devant la banqueroute imminente, Raymond Poincaré, revenu au pouvoir, a dû recourir aux décrets-lois. Le déficit n’ayant pas tardé à se reproduire par l’excès des dépenses que provoquent les Chambres, il apparaît qu’il faudra renoncer à des finances régulières et courir le risque d’un grand désordre ou bien, au nom du salut public, nier les droits de la majorité.
On peut remarquer que presque partout en Europe, dans les pays éprouvés par la guerre, les gouvernements ont perdu pied. Le vieux monde est dans un état qui ressemble beaucoup au chaos. Extrême est la confusion des idées. Pleins pouvoirs, dictature, ce sont des mots qui n’effraient plus ou des choses qui semblent naturelles, tandis que partout sont affichés les noms de République ou de démocratie. Sur les vastes destructions qu’une guerre immense et les révolutions qui l’ont suivie ont causées, personne ne peut dire ce qui s’élabore, ce qui est provisoire et ce qui est définitif. Seulement, quand on compare la France aux autres pays, quand on se représente les hauts et les bas de son histoire, on voit qu’elle n’est pas la plus mal partagée. Exposée aux tribulations, souvent menacée dans son être – elle l’a encore été, et terriblement, en 1914 – elle n’est pas sujette à ces affaissements ou à ces longues éclipses dont tant d’autres nations offrent le modèle. Sa structure sociale reste solide et bien équilibrée. Les classes moyennes, sa grande force, s’y reconstituent toujours en peu de temps. Après toutes ses convulsions, parfois plus violentes qu’ailleurs, elle ne tarde pas à renaître à l’ordre et à l’autorité dont elle a le goût naturel et l’instinct… Si l’on n’avait cette confiance, ce ne serait même pas la peine d’avoir des enfants.
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