Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
christianisme. Mais, pour les porteurs du drapeau musulman, les royaumes barbares d’Occident ne comptaient guère 1 ; seul l’Empire romain d’Orient représentait un véritable obstacle à la réunification totale de l’espace méditerranéen : pour les musulmans, Byzance incarnait la survie d’un État que dominait une religion dépassée, le christianisme. Aux siècles suivants commença la décomposition de l’Empire arabe, sous la pression des conflits internes, théologiques ou dynastiques entre chiites et sunnites, mais qui résulte aussi de l’éclatement des espaces économiques et de la difficulté de contrôler un monde aussi vaste, de l’Inde à l’extrême Occident.
L’Empire arabe VII e - X e siècle
Source : D’après l’Atlas Hachette, Histoire de l’humanité , © Hachette, 1992.
De sorte que peu à peu les marges chrétiennes réussirent à s’émanciper : à l’ouest, à partir des Asturies ; à l’est, grâce à l’action des Bagratian, cette dynastie qui « libéra », pour un temps, l’Arménie puis la Géorgie. Doit-on parler d’une libération ? d’une décolonisation ? Puis, selon la tradition chrétienne, ce fut l’ère des Croisades, « pour la reconquête du tombeau du Christ ». Des premières expéditions, Ibn Al-Athir, historien arabe contemporain des événements, présente le tableau suivant : « La première apparition de l’ Empire des Francs [c’est nous qui soulignons], leur invasion de la terre d’Islam survint en 478 [1086, ère chrétienne] quand ils s’emparèrent de Tolède… Puis ils attaquèrent la Sicile, l’Afrique, enfin, en 490, la Syrie. » Encore au XX e siècle, la formation des États francs de Syrie est ressentie comme une prémisse des « invasions » futures, celle d’Israël en dernier lieu… En outre, si on considère volontiers que la dernière croisade fut celle de Saint Louis à Tunis, en 1270, on a pu parler ultérieurement de « 13 e croisade » quand, sous l’égide de la Papauté et de Philippe II d’Espagne, trois siècles plus tard, les flottes chrétiennes ont triomphé de l’Islam à la bataille de Lépante(1571). Entre-temps, les Turcs avaient pris la relève des Arabes, détruit leur Empire pour se les soumettre, un bouleversement dramatique que la tradition arabo-islamique cèle soigneusement encore aujourd’hui, comme si les destructeurs de la grandeur passée des Arabes avaient été, non pas les Turcs, mais les Occidentaux qui, à l’époque de l’impérialisme, seraient revenus à l’assaut.
En vérité, lorsque les Turcs-Ottomans, après avoir vaincu les Arabes, les remplacèrent, ils se lancèrent dans un nouveau djihad qui aboutissait, en 1453, à la chute de l’Empire romain d’Orient — Byzance —, puis à la marche sur Vienne, capitale des Habsbourg. Jamais l’Empire turc, musulman, n’avait été aussi puissant qu’en ce temps de Soliman — les guerres de Philippe II et Lépante constituèrent un coup d’arrêt à la deuxième expansion de l’Islam.
Faut-il parler d’une conquête, ou d’une colonisation ?
L ES QUATRE ROUTES
La contre-attaque de la Chrétienté eut lieu ailleurs et autrement. D’une part, comme on le sait, pour pouvoir commercer avec l’Inde et la Chine, bien connues depuis les voyages de Marco Polo, il fallait trouver de nouvelles routes pour tourner l’Empire ottoman. Mais l’expédition de Vasco de Gama n’en avait pas moins une connotation religieuse : arrivé à Calicut après avoir fait le tour de l’Afrique, le navigateur déclara « qu’il était venu à la recherche des chrétiens et des épices ». Et, comme les Portugais, les Ottomans assimilaient le commerce lié aux Grandes Découvertes à une des formes de guerre sainte : « Creusons un canal à Suez, disaient-ils alors, et on rejoindra l’Inde et le Sind pour en chasser les Infidèles et rapporter de précieuses denrées. »
Ainsi, le contexte de la guerre sainte ne saurait être ignoré dans une recherche des origines des « découvertes » et de l’histoire de la colonisation. Certes, autour de 1580, comme l’a montré Fernand Braudel, les activités essentielles du commerce et de la politique passèrent bien de la Méditerranée à l’Atlantique. L’héritage des conflits précédents n’en demeure pas moins vivant dans la mémoire deceux qui n’ont pas rompu avec ce passé en se tournant vers d’autres mondes. Bernard Lewis a bien
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