Histoire du Consulat et de l'Empire
de 1799 et qui trouve au Sénat une compensation à ses déboires ministériels. Une fois ce premier contingent de sénateurs désigné, il se charge de coopter les autres membres de l'assemblée, en tenant davantage compte cette fois-ci des avis de Bonaparte. Plusieurs généraux, tel le général corse Casabianca, ou des amiraux, à l'image du célèbre navigateur Bougainville, font alors leur entrée au Sénat. Tous les nouveaux sénateurs sont des brumairiens, mais, dans le choix des hommes, se manifeste aussi la volonté de faire du Sénat une assemblée représentative des grands intérêts du pays. On y retrouve en effet l'élite du monde politique, de l'armée, des sciences, des arts et des finances.
Le Sénat s'installe au Petit Luxembourg et adopte très vite, selon un rituel datant du Directoire, un costume d'apparat, fait de drap bleu, de soie blanche et de broderies d'or. Il est d'abord présidé par Sieyès qui se retire après avoir reçu la terre de Crosne, pour être successivement remplacé par Ducos, Lemercier, Kellermann, Lacépède et Barthélemy, ce dernier nommé en 1802. Dès ses premiers mois d'existence, les fonctions du Sénat paraissent assez réduites, hormis le choix des membres des assemblées. Sans éclat et sans débat, ses séances ne pouvaient guère susciter l'intérêt à l'extérieur, d'autant qu'elles n'étaient pas publiques. Une fois les désignations dans les autres assemblées effectuées, au début de 1800, il ne lui reste plus qu'à sommeiller, au moins jusqu'en 1802. Il 57
LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)
ne se réunit plus que deux fois par mois. Pourtant, le Sénat aurait pu servir de contrepoint au pouvoir de Bonaparte. Les amis de Sieyès y étaient nombreux, et le Sénat se paya même le luxe, en mars 1800, de coopter en ses rangs Jean-Denis Lanjuinais, dernière figure du parti girondin. Cet avocat rennais, né en 1753, qui avait été tour à tour membre des États généraux, de la Convention, puis du Conseil des Anciens, était un véritable libéral. Son choix, peu conforme aux vœux de Bonaparte, est toutefois trop isolé pour permettre la constitution, au sein du Sénat, d'un pôle d'opposition.
L'activité du Sénat se réduit donc à la nomination des membres du Tribunat et du Corps législatif. Comme pour la désignation des premiers sénateurs, le rôle de Sieyès est déterminant dans le choix des tribuns et des législateurs. Le recrutement s'effectue très largement dans les anciennes assemblées révolutionnaires. Sur trois cents députés au Corps législatif, deux cent quatrevingt-trois ont été parlementaires depuis 1789, dont deux cent quarante et un dans les assemblées du Directoire. Le Consulat fait mieux que le précédent régime qui avait prévu de conserver, en 1795, deux tiers des conventionnels, aux termes d'un décret très critiqué dans l'opinion. Cette proportion se retrouve au Tribunat où sur cent tribuns, soixantesept viennent directement des assemblées du Directoire. Cette autoreproduction des élites politiques d'un régime à l'autre permet de nuancer l'impression de rupture entre la Révolution et le Consulat.
En même temps, il faut y voir un double calcul de la part de Bonaparte. En laissant entrer massivement les législateurs de l'époque de la Révolution dans les assemblées du Consulat, le Premier consul semble donner un gage aux idées de 1789. Il a aussi intérêt à empêcher une recomposition qui pourrait permettre l'avènement d'une nouvelle élite politique. Il sait le discrédit dont pâtissent les parlementaires dans le pays - la faiblesse de la participation lors des élections du Directoire l'a bien montré - et peut donc penser qu'ils ne trouveront pas d'écho dans l'opinion. L'antiparlementarisme, si caractéristique du bonapartisme, s'exprime ainsi par l'enfermement, dans un cadre doré, de députés, privés de tout lien direct avec un peuple qu'ils sont pourtant censés représenter.
Certes, une fraction du Tribunat tente de résister, mais sans grand succès. Bonaparte, avec l'aide involontaire de Sieyès, a donc choisi de conserver sous son contrôle les hommes politiques susceptibles de se transformer en opposants. À Paris, dans les palais de la République, privés de véritable pouvoir, ils paraissent moins dangereux que rejetés dans l'opposition, même s'ils ne renoncent pas à s'exprimer, au moins dans les premiers temps du régime.
Malgré les précautions prises pour diviser le
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