Histoire du Consulat et de l'Empire
piège constitutionnel tendu aux libéraux est en train de se refermer sur eux, Constant l'a bien senti. Le Tribunat, conçu dans le projet de Sieyès pour porter la contradiction aux projets du gouvernement, pour être en quelque sorte l'avocat du diable, risque de tomber dans le discrédit le plus complet s'il paraît faire une opposition trop systématique aux projets de réforme du Consulat. La composition de l'assemblée sert du reste le Premier consul qui peut opposer à sa fraîcheur politique le jeu tortueux de parlementaires uniquement soucieux de conserver leur fauteuil. N'ayant pu contrôler la composition du Tribunat, Bonaparte s'en sert comme d'un repoussoir et attise, par ses réactions épidermiques, la fibre antiparlementaire du public. La presse relaie ses propos. La Gazette de France par exemple dénonce « les hommes qui ont intrigué pour avoir des places », tandis que Le Publiciste se plaint des nominations « si étranges » effectuées par le Sénat.
Cette méthode est d'autant plus frappante que le Premier consul n'a rien à craindre sur le plan politique. Les critiques d'un petit groupe de libéraux n'entament pas sa majorité qui reste forte, tant au Tribunat qu'au Corps législatif. Ainsi, le projet sur l'organisation du travail législatif est critiqué par vingt-six tribuns seulement contre cinquante-quatre, et il passe sans problème devant le Corps législatif, par deux cent trois voix contre vingt-trois. Certes, ce premier vote dessine un noyau d'opposants, plus fort au Tribunat qu'au Corps législatif, mais il ne menace en rien le régime. Cette opposition n'en continue pas moins de s'exprimer, comme lors du débat sur la réforme de la justice au cours duquel le tribun Thiessé porte la contradiction au gouvernement. Une nouvelle fois, le Tribunat approuve le projet, mais d'une courte majorité, de quarante-quatre voix contre trente-deux. Néanmoins, chargé d'être l'un des trois 60
LA MISE EN PLACE DU CONSULAT
orateurs du Tribunat devant le Corps législatif, Thiessé se lance dans un violent réquisitoire contre le projet, ce qui lui vaut une remontrance d'un des représentants du gouvernement. Cette atteinte au droit du Parlement exaspère les députés qui repoussent le projet. Cette fois-ci, c'est le Corps législatif qui fait entendre sa voix. Son veto n'entrave pas l'action du gouvernement qui présente un nouveau projet un mois plus tard, lequel sera voté sans encombre. Entretemps, tribuns et législateurs avaient approuvé le projet concernant l'organisation administrative de la France, malgré quelques critiques, émanant notamment de Daunou, sur l'extrême centralisation des pouvoirs entre les mains du préfet. Le projet fut défendu par les conseillers d'État Roederer et Chaptal qui note dans ses Mémoires, à propos de cette loi : « Le Tribunat la combattit de toutes ses forces ; le tribun Daunou prononça, à ce sujet, un discours très fort. Je lui répondis, et la loi passa 0. » L'obstruction la plus significative concerna sans nul doute le vote de la loi de finances pour l'an IX dont quarante tribuns contre quarantecinq demandèrent le rejet ; seuls dix-neuf députés du Corps législatif les suivirent, deux cent quarante-huit votant pour le projet. Ce vote mit pratiquement un terme à la première session parlementaire du Consulat, puisque le Corps législatif acheva ses travaux le 1er germinal, tandis que le Tribunat, siégeant en permanence, limita ses séances à deux par semaines, son activité étant réduite à l'éventuel renvoi devant le Sénat des actes du gouvernement qu'il jugerait inconstitutionnels, ainsi qu'à l'émission de vœux sur les lois à faire.
Les tribuns profitèrent de cette relative inactivité pour élire un nouveau président. Deux noms obtinrent le même nombre de voix : Jard-Panvillers et Andrieux qui, plus âgé, fut déclaré élu. Ce duel manifeste la division du Tribunat entre deux partis que Thibaudeau, alors préfet de Gironde, décrit ainsi, en s'appuyant sur les dires de son ami Siméon, devenu tribun en cours de session : « D'après ce que Siméon m'écrivait, le Tribunat ressemblait aux Conseils législatifs avant le 18-Fructidor, au nombre près ; il était divisé en deux partis : l'un, le révolutionnaire, plein d'énergie ; l'autre, faible et mou. Quant au gouvernement, il avait acquis de la force ; les Assemblées n'en avaient guère [ ... ]. Ce que Siméon appelait le parti révolutionnaire, c'était le
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