Il suffit d'un Amour Tome 2
reconnue pure et sainte, où les dames l'ont reconnue vierge et où le roi lui a donné une armure pour mener les troupes à l'assaut. Et la Pucelle marchera vers Tours. Bientôt elle rejoindra l'armée à Blois, bientôt elle sera ici. C'est elle qui décidera du sort de la prisonnière quand Orléans sera libre. Jusque-là, cette femme demeurera en prison. Gardes, emmenez la prisonnière !
Vaincu, Arnaud baissa la tête. Tandis que le bourreau assistait Catherine pour passer sa robe et se mettre debout, celle-ci, malgré la souffrance qui courait encore le long de ses membres, se surprit à penser que l'intraitable capitaine devait aimer chèrement le Bâtard pour s'être soumis à lui si aisément. Mais la jeune femme était trop faible pour pouvoir marcher. Sous les regards chargés de rancune des échevins, deux soldats durent l'emporter jusqu'à sa cellule.
Dans les jours qui suivirent, on s'occupa si peu de Catherine qu'elle en vint parfois à se croire oubliée. Personne ne chercha plus à l'interroger, nul ne vint la voir. On se contenta de la laisser dans sa prison et elle en arriva bientôt à considérer comme une bénédiction du ciel d'avoir un geôlier comme le sien. Pitoul correspondait bien à son physique. Ce n'était pas un mauvais homme, tout au contraire, et s'il faisait ce métier peu en rapport avec son caractère, c'était uniquement parce qu'il avait repris la charge de son défunt beau-père. Dans la vie, Pitoul avait trois passions : sa femme Alison, plantureuse commère forte en gueule qui le battait au moins une fois par semaine pour s'entretenir la main, la bonne chère et, singulièrement, les andouillettes qui avaient fait la. gloire de maître Godin, traiteur dont la boutique à l'enseigne de « L'Andouillette d'Or» s'étalait au plein de la rue des Hostelleries, enfin les potins de tous genres. Le siège ayant mis un terme aux succulences culinaires de maître Godin, il ne restait à Pitoul que son Alison et les potins. Et si, sur les débuts, il avait regardé sa nouvelle pensionnaire avec quelque méfiance à cause de ses relations suspectes avec les Bourguignons, le fait que Monseigneur le Bâtard se fût personnellement intéressé à Catherine avait beaucoup soulagé Pitoul. Il n'avait plus vu d'inconvénients à venir bavarder de temps en temps avec elle. D'autant plus qu'elle était la seule et unique prisonnière qu'il eût à garder pour le moment.
Par Pitoul, Catherine apprit le plus gros des nouvelles de l'extérieur. La fièvre de l'espoir montait dans la cité où l'on en était réduit à consommer les chiens et les chats, où le moindre bol de farine se vendait au poids de l'or. Il arrivait bien qu'à la faveur de la nuit un colporteur pût passer avec un peu de ravitaillement, mais ce qu'il apportait était une goutte d'eau dans une mer immense et c'étaient toujours les plus riches qui en profitaient. Les gens d'Orléans n'avaient plus qu'une pensée : durer, tenir envers et contre tout jusqu'à ce que la Pucelle miraculeuse parvînt jusqu'à eux. Jour après jour, à la maison de Ville, Jean de Dunois les haranguait pour les exhorter au courage, à la patience et chacun suivait avec anxiété la marche de Jehanne.
On sut qu'elle avait quitté Poitiers pour Chinon puis pour Tours où le roi lui avait constitué une maison militaire et fait faire un étendard.
— On lui a donné un écuyer, deux pages, deux hérauts d'armes et un chapelain, disait Pitoul ébloui, tout comme pour un grand capitaine. Et maintenant elle marche sur Blois, la sainte fille que Dieu garde, sur Blois où les capitaines la rejoindront !
Peu à peu, dans l'esprit ulcéré de Catherine, se formait une image bizarre de l'étrange paysanne devenue chef de guerre. Parce qu'elle la détestait sans même l'avoir vue, parce que son sort futur devait dépendre de cette fille, elle imaginait une créature douée d'une ruse peu commune, d'un redoutable pouvoir de séduction qui lui permettait d'ensorceler les hommes à distance.
Et ceux qui la voyaient lui étaient aussitôt soumis, même des seigneurs de très haut rang comme Jean de Dunois. Arnaud, bientôt, tomberait dans le piège, comme les autres. Et Catherine, peu à peu, en venait à rendre la Pucelle responsable de ses propres malheurs, persuadée que, si Arnaud n'avait attendu, comme les autres, cette Jehanne, il ne l'eût pas traitée ellemême avec tant de cruauté. Il espérait une envoyée du ciel, une fille tellement au-dessus des
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