Il suffit d'un Amour Tome 2
autres femmes qu'elle avait balayé à jamais de son souvenir celle qu'il avait failli aimer. Bien plus, pour lui, Catherine était une créature maléfique, une fille du démon, un être nuisible... Et la jeune femme écoutait avec une tristesse mêlée de colère les rapports enthousiastes que lui faisait son geôlier. Mais elle lui pardonnait parce que chaque jour il lui portait une cruche d'eau pour se laver et lui avait procuré une vieille robe de sa femme.
Un mardi, au début de la dernière semaine d'avril, Catherine vit entrer Pitoul dans sa prison, comme il le faisait chaque matin. Il portait une cruche d'eau et une écuelle pleine d'un brouet clair fait de raves et de farine gâtée mais il paraissait radieux.
— Ce n'est pas fameux ce que je vous porte là, fit-il en posant l'écuelle sur l'escabeau, mais les soldats en ont encore moins que vous. Et puis, nous aurons bientôt de quoi manger tout notre content.
— Pourquoi ? Les Anglais s'en vont ?
— Que nenni ! Mais il y a à Blois un convoi de vivres tout prêt et la Pucelle en personne va nous l'amener...
Il se pencha vers Catherine et chuchota en confidence derrière l'écran de sa main comme si les murs eussent pu l'entendre :
— Cette nuit, le Bâtard, Messire de Gaucourt et presque tous les capitaines sont partis au-devant de Jehanne. Demain peut-être elle sera ici et nous serons sauvés...
— Ils sont partis ? fit Catherine surprise. Qui donc garde la ville ?
— Nos échevins, pardi ! Et aussi quelques capitaines. Tous ne sont pas partis. Messire de Montsalvy est toujours là, par exemple...
Mais Catherine ne l'écoutait plus. Depuis près d'un mois qu'elle était recluse en ce cachot, elle ne pensait plus qu'à une seule chose : se sauver, retrouver sa liberté à tout prix. Malheureusement, ce rêve semblait aussi peu réalisable que possible dans une ville si bien gardée. L'annonce du départ de la plupart des chefs militaires était une fameuse information.
Jusqu'à leur retour, il serait peut-être plus facile de fuir. Tandis que Pitoul continuait à discourir, elle le regardait avec un demi-sourire. Une idée lui venait...
Presque quotidiennement, il passait le soir quelques instants avec elle parce qu'elle savait l'écouter et qu'il était flatté d'avoir pour auditoire une grande dame prisonnière. A ces moments-là, le brave Pitoul ne se méfiait aucunement, si même il s'était jamais méfié de cette belle femme blonde, si triste et si douce. Et Catherine songeait qu'il serait aisé d'assommer Pitoul avec son escabeau, de prendre ses vêtements et de sortir à la faveur de la nuit. Encore fallait-il être renseignée mieux qu'elle ne l'était sur les us et les coutumes de la forteresse. Elle décida d'employer la causerie du soir et celle du lendemain à faire parler Pitoul. En même temps, elle achèverait de mûrir son plan et le mettrait, sitôt prêt, à exécution. L'important était d'être dehors avant que la Pucelle fût dans la ville. Pour rien au monde, Catherine ne voulait subir le jugement de cette fille...
Obtenir les renseignements souhaités fut un jeu d'enfant. Pitoul était tellement heureux à l'idée de manger bientôt à sa faim qu'il n'était vraiment pas besoin de le pousser à parler. Il n'arrêtait pas. Catherine sut les heures exactes des rondes, les noms des portiers, les habitudes militaires et jusqu'au mot de passe. Elle décida que sa tentative de fuite aurait lieu le jeudi et, pour la première fois depuis qu'elle était en prison, dormit d'un bon sommeil.
Toute la journée du jeudi, elle fut nerveuse, inquiète. Les échanges d'artillerie furent plus violents ce jour-là que les jours précédents. Les Anglais comme les gens d'Orléans savaient l'approche de celle que, de leur côté, ils nommaient la Sorcière. Et le vacarme mené par les bombardes et les couleuvrines fut infernal, incessant, mais Catherine s'en réjouissait. Ce tintamarre servirait ses desseins pour peu qu'il durât après le coucher du soleil... Elle regarda baisser le jour avec des sentiments mitigés d'espoir, de crainte et d'impatience. L'heure approchait de la visite de Pitoul.
Enfin, il y eut dans le couloir un bruit de pas et le cœur de la captive se mit à battre la chamade. Le moment était venu... Déjà, elle tendait la main pour saisir le lourd escabeau de chêne. La porte s'ouvrit et Pitoul parut mais s'effaça aussitôt, son bonnet à la main. Interdite, Catherine laissa retomber sa main tandis que
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