Il suffit d'un Amour Tome 2
outre, Nicolas Rolin fut, dès lors, rangé par elle au nombre de ses ennemis personnels.
Catherine, le matin, se rendait volontiers à la messe à Notre-Dame en souvenir de ses habitudes de jeune fille. Cela lui permettait aussi, après l'office, d'aller embrasser sa mère et son oncle. Elle aimait trotter par la ville, aux heures fraîches du matin, quand la grosse chaleur d'août ne pèse pas encore sur les rues. Vêtue d'une robe de toile fine, un voile léger sur la tête, un missel à la main et une servante sur ses talons, Catherine gagnait sa place dans l'église sombre et assistait à la messe avec autant de ferveur qu'elle y mettait jadis de distraction. La puissance infinie de Dieu lui semblait le seul recours pour débrouiller l'imbroglio de son cœur et, jour après jour, elle implorait du ciel l'aide dont elle avait tant besoin.
Depuis la défection de Sara, elle avait élevé au rang de première femme de chambre l'une des servantes chargées de sa toilette. Perrine était une fille de dix-huit ans, fraîche, aimable et entièrement dévouée à sa maîtresse pour laquelle elle se fût jetée dans le feu sans hésitation. Elle était simple et paisible, ne posait pas de questions et Catherine appréciait ses qualités.
Or, un matin où toutes deux occupaient leur place habituelle, non loin de la chapelle de la Vierge Noire, un moine vint s'agenouiller auprès de Catherine. Il portait un froc brun, ceint d'une grosse corde, poussiéreux, dont le capuchon, rabattu sur sa tête, cachait une partie de son visage. Le peu que l'on pouvait voir de ce visage était d'ailleurs sympathique. Tout y était rond, le nez, la bouche et même les joues bien remplies. Mais quand il releva la tête pour dévisager sa voisine, Catherine vit que le regard était étrangement vif. Il se pencha, chuchota :
— Pardonnez mon indiscrétion, mais vous êtes bien dame Catherine de Brazey ?
— C'est moi, en effet, mais...
Le moine, rapidement, porta un doigt à ses lèvres :
— Chut !... Parlez bas ! Vous êtes celle que je cherchais. Madame de Champdivers m'envoie à vous. Je viens de Saint-Jean-de-Losne et je me serais présenté à votre hôtel si je n'avais craint la curiosité de vos serviteurs... ou même de n'être point reçu. Alors, je me suis renseigné.
Catherine lui jeta un coup d'œil rapide.
— Avec la caution de mon amie Odette, vous n'aviez point à craindre de n'être pas reçu, mon père. Que puis-je pour vous ?
— M'accorder quelques instants d'entretien... privé.
— Vous n'aurez qu'à me suivre après l'office. D'ailleurs la messe se termine. Nulle part nous ne serons mieux que chez moi.
— C'est que... Dame Odette m'a bien recommandé d'éviter messire de Brazey.
— Mon époux est absent, vous ne le rencontrerez pas.
La messe, en effet, tirait à sa fin. A l'autel, le prêtre se tournait vers les fidèles pour la dernière bénédiction. Quand il se fut retiré dans l'ombre du maître-autel, Catherine se leva, fit une profonde génuflexion et gagna la sortie, escortée de Perrine et du moine. Ils se retrouvèrent bientôt tous trois au grand soleil de la rue. Renonçant, pour une fois, à se rendre rue du Griffon, Catherine rentra chez elle en hâte. Elle était curieuse de savoir pour quelle raison Odette lui adressait cet étrange messager et ce qu'il pouvait avoir à lui dire.
Rentrée à l'hôtel de Brazey, elle congédia Perrine et fit venir le moine dans sa chambre.
— Voilà, fit-elle en lui désignant un siège. Nous sommes seuls, nul ne nous écoute. Vous pouvez parler en toute sécurité. Que puis-je pour vous ?
— Nous aider. Mais d'abord il me faut vous dire qui je suis. Je me nomme Étienne Chariot et, comme vous pouvez en juger à mon costume, j'appartiens à l'ordre des Frères Mineurs fondé par François d'Assise. Je viens du mont Beuvray où je vis ordinairement avec quelques autres frères.
Il raconta comment, appelé auprès du malheureux roi Charles VI sur la réputation que lui avait faite sa connaissance des simples et des plantes médicinales, il était devenu l'ami d'Odette de Champdivers, si attachée à soigner le roi fou. La « petite reine » avait apprécié le solide bon sens bourguignon de ce moine à la fois doux et énergique. Les tisanes qu'il composait avaient adouci bien souvent le sommeil du roi. A la mort du souverain, il avait regagné son Mont Beuvray, tandis qu'Odette revenait vers sa Bourgogne natale. Mais Catherine ne tarda pas à
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