Il suffit d'un Amour Tome 2
comprendre que, ce faisant, tous deux avaient un but secret : servir le roi Charles VII avec autant de dévouement qu'ils avaient servi et aimé son père.
— Nous avons pensé, l'un comme l'autre, conclut le moine, que nous serions plus utiles à notre maître chez son ennemi plutôt que dans le domaine royal à prier pour le succès de ses armes. Nous eussions, dame Odette et moi-même, trouvé aisément accueil auprès de Monseigneur Charles, mais nous avons choisi de revenir. La situation géographique du Mont Beuvray, dans l'enclave de Château-Chinon, est, en effet, exceptionnelle. C'est une mince pièce de terre, relevant du duc Jean de Bourbon, encastrée dans les terres bourguignonnes, exactement entre le duché de Bourgogne et le comté de Ne vers...
— Je vois, fit Catherine avec un sourire : un poste d'espionnage remarquable !
— Dites : un poste d'observation, corrigea frère Étienne. Surtout un point de passage excellent !
Catherine examinait attentivement son visiteur. Vu ainsi, dans la pleine lumière d'un rayon de soleil, il était moins jeune qu'elle n'avait cru, tout à l'heure, dans l'église obscure. Son teint était frais, son visage rond et rose avec une peau bien tendue, mais les pattes-d'oie se marquaient aux yeux et la couronne de cheveux grisonnait. En tant qu'homme, il n'était pas beau, trop en courbes, mais l'intelligence que reflétait son visage plut à la jeune femme autant que la bonté de son regard. Elle interrompit avec un sourire le cours de géographie politique d'Étienne Charlot.
— Je comprends parfaitement tout ceci. Mais je ne vois pas bien quel rôle je puis jouer.
Frère Etienne leva vers elle son regard soudain grave.
— Nous aider, je vous l'ai dit. Dame Odette prétend que vos sympathies vont au roi Charles VII... et vous êtes introduite largement à la Cour de Bourgogne. Vous pourriez être pour nous une source infiniment riche d'informations... Non, ne froncez pas les sourcils, je devine ce que vous pensez et ce que vous allez me dire. Vous n'êtes pas une espionne, c'est bien cela ?
— C'est un plaisir de vous entendre exprimer les choses aussi clairement.
— Pourtant, je vous prie de considérer ceci : la cause du roi Charles VII est légitime et juste parce qu'elle est celle de la France, alors que le duc Philippe ne craint pas de tendre sa main à l'envahisseur, dans le seul but d'accroître son pouvoir et l'étendue de ses terres.
Ces mots-là, Catherine les connaissait bien. Si souvent Ermengarde avait exprimé une opinion semblable ! Et puis, à peu de chose près, ils étaient la copie fidèle de ceux qu'Arnaud avait jetés au visage de Philippe, à Amiens.
Mais frère Étienne continuait :
— Pour une cause juste, il n'est rien d'avilissant. Celle du roi est noble entre toutes et sacrée. Il est l'oint du Seigneur. Qui le sert oblige Dieu lui-
même ! Et, à l'heure du triomphe, il saura récompenser ses serviteurs fidèles... bien que, ajouta-t-il avec un bon sourire, vous ne paraissiez pas être de ceux qui attendent quelque paiement de leurs actions.
— On dit pourtant le roi Charles léger, oublieux, tout occupé de fêtes et de femmes...
En effet et, pour ne vous rien cacher, je regrette fort de ne pouvoir vous conduire à sa Cour. Vous en feriez votre esclave. J'espère que vous pardonnerez une phrase si brutale chez un moine. Le roi est faible, c'est un fait, mais auprès de lui veille un ange. Le pouvoir, la sagesse sont aux mains d'une femme, sa belle-mère, une très grande et très noble dame : Yolande d'Aragon, reine de Sicile et de Jérusalem, comtesse d'Anjou et comtesse de Provence, la plus haute et la plus vaillante princesse de ce temps. C'est elle que je sers plus particulièrement et elle m'honore de sa confiance. Je puis vous affirmer que sa mémoire est fidèle, sa tête solide, son génie politique extrême... et qu'il fait bon la servir.
— Alors...
La phrase commencée, Catherine s'arrêta. Une idée venait de germer dans sa tête, soudaine et brillante comme une étincelle et si séduisante qu'elle en sourit inconsciemment. Frère Etienne, impatient, se penchait vers elle :
— Alors ?
— Si je demandais, dès avant de servir, une grâce, votre reine l'accorderait-elle ?
— Pourquoi non, si la chose est possible et raisonnable ? Yolande n'a point une âme de marchande. Elle est généreuse. Demandez toujours.
— A la bataille de Cravant, plusieurs seigneurs ont été pris par le comte de Suffolk.
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