Il suffit d'un Amour Tome 2
doit être à l'heure qu'il est. On dit qu'il s'y emploie à se faire payer par Bedford ce qui lui restait dû sur la dot de feu la duchesse Michelle, dont Dieu ait l'âme.
Cela donne d'assez jolis maquignonnages entre un prince français, quoi qu'il en dise, et le régent anglais, qui a déjà dû lâcher Péronne, Roye et Montdidier, plus deux mille écus, plus le château d'Andrevic... et le péage de Saint- Jean-de-Losne, ce qui devrait intéresser votre amie. Pour les trois villes, Philippe ne les tient pas encore, car il lui faudra les arracher aux troupes royales... »
La lettre continuait longtemps sur ce ton. Ermengarde n'écrivait pas souvent, mais, lorsqu'elle prenait la plume, elle couvrait des lieues de parchemin sur sa lancée... Odette en avait écouté la lecture avec un sourire amer.
— J'admire, dit-elle, la générosité du Régent qui paie ses alliés avec ce qui ne lui appartient pas. Il donne Saint-Jean-de-Losne qui est à moi et Monseigneur Philippe accepte. Il ne craint pas de me ruiner !
— Il ne le fera peut-être pas. Vous conserverez sans doute votre ville, Odette, dit Catherine.
Mais la jeune femme haussa les épaules avec mépris.
— Vous ne connaissez pas encore Philippe de Bourgogne. Son père m'avait fait donner cette ville parce que je lui étais utile auprès du roi Charles, mais maintenant qu'il est mort, que je ne sers plus à rien, on me reprend ce que l'on m'a donné. Philippe est comme son père, ma chère amie.
Rapace sous des dehors fastueux. Il ne donne qu'à bon escient et contre valeurs sûres...
— Il y a moi, riposta Catherine. Philippe prétend m'aimer. Il faudra bien qu'il m'entende...
Le soir même, frère Etienne Chariot se présenta au pont-levis et demanda à être reçu. Il était absolument gris de poussière, et dans leurs sandales, ses pieds noircis montraient plus d'une égratignure. Mais son sourire était rayonnant.
— Vous me voyez si heureux de vous trouver réunies, dit-il en saluant les deux femmes. La paix soit avec vous !
— Et avec vous aussi, frère Étienne, répondit Odette. Quelles nouvelles nous apportez-vous ? Mais d'abord asseyez-vous. Je vais vous faire apporter des rafraîchissements.
Ce ne sera pas de refus. La route est longue depuis Bourges et peu sûre à cette heure. Un capitaine d'aventures bourguignon, Perrinet Gressard, tient la campagne et marche sur La Charité sur-Loire... J'ai eu bien du mal à lui échapper. Mais les nouvelles que je rapporte sont bonnes, excellentes même pour Madame de Brazey. Le roi a payé rançon pour messire Jean Poton de Xaintrailles et pour le seigneur de Montsalvy qui, à cette heure, doivent avoir repris leur poste en Vermandois. Mais quelles sont vos nouvelles à vous ?
Pour toute réponse, sans hésiter même une seconde, Catherine lui tendit la lettre d'Ermengarde. C'était le premier geste de rébellion envers Philippe de Bourgogne qu'elle accomplissait, mais sa détermination était absolue maintenant. Yolande d'Aragon, en rachetant Arnaud, s'était attaché la fidélité de Catherine.
Le cordelier parcourut rapidement le parchemin couvert de l'extravagante écriture d'Ermengarde et hocha la tête :
— Bedford fait de bien grandes concessions. Il a besoin de Philippe...
autant que le roi a besoin de répit !
— Ce qui veut dire ? demanda Catherine avec un peu d'involontaire hauteur.
Frère Etienne ne se formalisa pas du ton. Sa voix avait autant de douceur que son sourire quand il répondit :
— Que le duc Philippe a quitté Paris, qu'il marche sur Dijon à petites journées pour préparer les noces de Madame de Guyenne... et que le temps des vacances est terminé pour la femme du Grand Argentier de Bourgogne.
L'allusion était plus que transparente. Catherine détourna la tête, mais sourit :
— C'est bien. Je rentrerai à Dijon demain.
— Moi, je reste, fit Odette. Si le duc veut ma ville, il faudra qu'il vienne la prendre. Encore devra- t-il faire enlever mon cadavre des décombres...
— Soyez sûre qu'il n'y manquera pas, fit le moine
avec un sourire narquois. Et la Saône est si près qu'il n'aura guère de peine à s'en débarrasser. Vous ne serez jamais la plus forte. Pourquoi vous obstiner ?
— Parce que...
Odette rougit, se mordit les lèvres et finalement éclata de rire.
— Parce qu'il est trop tôt. Vous avez raison, frère Etienne, je n'ai rien d'une héroïne épique et les grands mots ne me vont pas. Je reste simplement parce que j'attends
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