Il suffit d'un Amour Tome 2
!
— Parce que ? fit l'abbé avec un haut-le-corps.
Parce qu'avant de rendre cette pauvre enfant à sa brute d'époux, il vous faudra me passer sur le corps, mon ami, acheva tranquillement Ermengarde en ôtant ses gants de cheval et en tirant de son aumônière un immense mouchoir de soie brodée dont elle s'épongea le visage avec énergie.
Maintenant, faites- nous donc servir à dîner car je meurs de faim, moi ! Et j'ai à parler avec Catherine.
Ainsi mis en demeure par sa terrible cousine, Jean de Blaisy se retira en soupirant. Il allait franchir la porte cintrée qui menait de la grand-cour à son logis, quand Ermengarde le rappela.
— N'oubliez pas, cousin, si Garin de Brazey se présente à votre porte, vous fermez cette porte et vous refusez de le laisser entrer.
— Je n'en ai pas le droit, je le crains !
— Vous le prendrez ! Vous ferez ce que vous voudrez, vous armerez s'il le faut vos bénédictins et nous soutiendrons un siège en règle si besoin est, mais retenez bien ces deux choses : d'abord le droit d'asile est inviolable, pour qui que ce soit. Même le roi ne saurait passer outre. Ensuite... la meilleure manière de vous faire un mortel ennemi de Philippe de Bourgogne sera de remettre Madame de Brazey à son aimable époux.
— Ermengarde, vous êtes insupportable ! fit aigrement l'abbé en haussant les épaules. Soutenir un siège ! Comme vous y allez !
Ce que l'abbé avait pris pour une boutade d'Ermengarde n'allait cependant pas tarder à prendre les couleurs d'une cruelle réalité. À l'heure où les bénédictins, revenus des champs à l'appel de l'Angélus, se rangeaient deux par deux sous les arches romanes du cloître et entonnaient un chant à la gloire de Dieu, à l'heure où le frère portier repoussait les grands vantaux de la porte charretière, roulant sur leurs gonds avec un bruit de tonnerre et où Ermengarde, Catherine et Sara se disposaient à aller prier à la chapelle, un terrible cortège entra dans Saint- Seine et s'avança jusqu'à la porte de l'abbaye.
C'était une troupe de soudards, armés jusqu'aux dents de longues lances, de larges épées solides et de haches, montés sur de lourds chevaux capables de porter cent livres de fer en plus de leur cavalier. Les hommes étaient de mauvaise mine et appartenaient visiblement à l'une de ces bandes de routiers dont il était facile de se procurer, alors, les services pourvu que l'on eût la bourse pleine. Gens de sac et de corde, sans foi ni autre loi que l'or et la ripaille, qui portaient le crime inscrit sur chaque trait de leurs figures brutales. Leurs casaques de cuir, protégées de plaques de fer aux endroits vulnérables, montraient des taches de sang séché, des traces de brûlures et leurs casques de bon acier étaient bosselés à maints endroits, mais ils offraient un aspect redoutable, si effrayant que, sur leur passage, les gens de Saint- Seine se barricadèrent en hâte, entassant derrière leurs portes les meubles les plus lourds, priant Dieu de leur épargner la colère de ces gens.
La troupe avait débouché si subitement dans la vallée que nul n'avait pu donner l'alarme et que l'on n'avait pas eu le temps de chercher refuge à l'abbaye comme cela se faisait au temps jadis, au temps des Grandes Compagnies qui traînaient après elles le meurtre, le viol et l'incendie. L'effet de surprise avait joué à plein. Endormis dans la paix prospère que leur valait la sage administration de leur duc, les Bourguignons en général et les gens de Saint-Seine en particulier avaient oublié le chemin du sûr refuge de jadis.
Tapis derrière leurs étroites fenêtres, les paysans regardèrent défiler dans le crépuscule l'effrayante troupe.
En tête chevauchaient deux hommes. L'un était vêtu à peu près comme le reste de la bande, mais l'expression arrogante de sa figure et la chaîne d'or pendue sur sa poitrine indiquaient qu'il en était le chef. L'autre était Garin.
Tout de noir vêtu à son habitude, le chaperon enfoncé sur les yeux, un manteau noir l'enveloppant jusqu'au cou, il avançait sans rien regarder de ce qui se passait autour de lui. Mais, ce qui terrifia le frère-portier en voyant la troupe monter vers l'abbaye, ce furent les deux prisonniers que traînaient les chevaux de tête. Deux lambeaux humains encore doués de vie titubaient, enchaînés aux selles de Garin et de son compagnon : un homme et une femme. Tous deux avaient été traités avec une atroce barbarie. Les longs
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