Il suffit d'un amour
dédaigneux.
Ces gens-là ne savent chanter que la bière et les horions.
— S'il vous plaît, messire, la chanson vient de Londres, mais elle est toute française. Dans sa geôle anglaise, Monseigneur Charles d'Orléans compose ballades, odes et chansons pour distraire son ennui aux heures trop longues. Celle-ci a percé les murs de la prison et j'ai eu la chance de l'entendre...
Il allait continuer quand Hughes de Lannoy, tirant sa dague, bondit par-dessus la table et tomba, l'arme haute, sur le malheureux chanteur.
— Qui ose, en pays bourguignon, prononcer le nom d'Orléans ?
Maudit maraud, tu vas le payer !
Fou de rage, le bouillant ami de Philippe le Bon allait frapper quand Catherine, mue par une irrésistible impulsion, se leva :
— Assez, sire chevalier ! Vous êtes ici chez moi et ceci est mon souper de noces. Je vous interdis de faire couler devant moi un sang innocent ! Une chanson se juge à sa beauté, non à son origine.
Sa voix, vibrante de colère, avait sonné comme un clairon. Un silence succéda. Stupéfait, Hughes de Lannoy laissa retomber son bras. Ses yeux rejoignirent, sur la jeune femme, ceux de tous les assistants. Elle se tenait très droite, s'appuyant à la table du bout des doigts, le menton fièrement levé, toute brillante de fureur mais revêtue d'une telle dignité que nul ne songea à s'étonner. Jamais la beauté de Catherine n'avait été aussi éclatante qu'à cette minute. Elle s'imposa aux hommes présents, comme une aveuglante révélation, dans son incontestable royauté. Que cette fille vînt d'une échoppe de drapier était un fait, mais que, par la splendeur de son corps et la grâce de son visage, elle fût digne d'être reine, en était un autre, non moins clair.
Une flamme étrange au fond de ses yeux bleu pâle, Hughes de Lannoy repoussa lentement sa dague au fourreau, lâcha le ménestrel et revint vers la table. Il sourit, plia le genou.
— Pardonnez-moi, gracieuse dame, d'avoir, en votre présence, laissé la colère m'emporter. J'implore, à la fois, mon absolution et un sourire...
Mais tous ces regards fixés sur elle avaient eu raison de l'assurance momentanée de Catherine. Confuse, elle sourit au jeune homme d'un air embarrassé, se tourna vers son époux :
— C'est à vous, messire, qu'il faut offrir des excuses. Pardonnez-moi d'avoir élevé la voix en votre lieu et place. Mais, veuillez considérer...
Garin s'était levé et lui avait pris la main pour couper court à ses excuses et lui venir en aide :
— Comme vous l'avez dit fort justement, vous êtes ici chez vous...
et vous êtes ma femme. Je suis heureux que vous ayez agi ainsi car vous aviez entièrement raison. Gageons que nos amis vous approuvent et qu'ils nous donneront, maintenant, permission de nous retirer.
La vague de sang venue avec la colère aux joues de Catherine se retira subitement. Sa main frémit dans celle de Garin. Le moment tant redouté était donc venu ? Le visage impassible de l'époux n'évoquait certes pas les doux épanchements de l'amour, mais c'était tout de même vers leur chambre commune qu'il l'emmenait. Sur leurs pas, les invités se formèrent en un cortège dont six musiciens, jouant de la flûte et de la viole, prirent la tête. Éperdue, Catherine chercha le regard d'Odette qui la suivait, menée par Lannoy. Elle y lut une chaude amitié et aussi une profonde compassion.
— C'est chose sans importance que le corps, lui avait dit la jeune femme tandis qu'elle l'aidait à s'habiller, le matin même. L'heure de l'union est pénible pour presque toutes les femmes, même lorsque l'amour est là. Et, lorsqu'il n'y est pas, il arrive, parfois, qu'il vienne ensuite.
Catherine s'était détournée pour prendre sa coiffure des mains d'une servante. Malgré l'amitié profonde, mais encore trop récente, qui la liait à Odette, elle ne s'était pas encore résolue à lui découvrir le fond de son cœur ni le secret de son amour pour Arnaud de Montsalvy.
Elle avait l'impression, stupide peut-être, qu'en laissant la confidence franchir ses lèvres, elle éloignerait d'autant la forme, déjà si lointaine, du jeune homme, elle briserait le charme tissé entre elle et cet ennemi bien-aimé.
... puisqu'il me faut loin de vous demeurer, Je n'ai plus rien à me réconforter Qu'un souvenir...
Les paroles de la plaintive chanson se reformaient d'elle-même sur le miroir fidèle de sa mémoire, si poignantes, tout à coup en face de cette porte sombre qui
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