Il suffit d'un amour
allait s'ouvrir, puis se refermer.
Catherine ferma les yeux pour retenir les larmes qui venaient.
Elle était au seuil de la chambre nuptiale...
La dernière, Odette s'était retirée, laissant Catherine attendre seule l'arrivée de l'époux. Un dernier baiser fraternel, un dernier sourire vite dérobé par l'entrebâillement de la porte et la jeune femme avait disparu. Catherine savait qu'Odette quittait Brazey le soir même pour regagner son castel de Saint-Jean-de- Losne où l'attendait sa fille.
Malgré le froid et la neige,. peu d'invités demeureraient cette nuit au château, chacun préférant rentrer chez soi. Seuls, Guillaume et Marie de Champdivers resteraient à cause de leur âge. C'était peu, mais leur présence sous le même toit qu'elle-même réconfortait un peu la jeune mariée. Par ailleurs, Catherine ne regrettait ni Lannoy ni Rolin...
Assise dans le grand lit dont les sévères tentures de tapisserie retraçaient des scènes de chasse, elle tendait l'oreille à tous les bruits du château. Mais ils s'éteignaient l'un après l'autre, étouffés par l'épaisseur des murs. Bientôt, il n'y eut plus, dans la grande pièce lugubre que le crépitement du feu ronflant dans l'énorme cheminée de pierre et le bâillement de l'un des chiens au pied du lit. L'autre dormait, la tête sur les pattes.
Des tentures avaient été accrochées le matin même, dans cette chambre glaciale, aux murs de pierre nue. Elles masquaient l'ogive des fenêtres étroites et l'étendue blanche de la plaine sous le ciel noir.
On avait jeté, à terre, les grandes peaux d'ours brun que Garin affectionnait et, ainsi calfeutrée, la pièce ronde, prise dans la tour, avait trouvé une nouvelle apparence, plus douillette. Dans la cheminée, on avait entassé deux troncs d'arbres et la chaleur dégagée était si forte que Catherine sentait la sueur couler le long de son dos.
Mais ses mains crispées demeuraient froides. Elle guettait un pas dans le couloir.
Ses femmes, dirigées par Odette, l'avaient revêtue d'une sorte de robe de nuit en soie blanche, froncée au cou par un lien d'or et dont les larges manches glissaient jusqu'à l'épaule pour peu qu'elle levât les bras. Ses cheveux avaient été tressés en nattes épaisses retombant sur sa poitrine et sur la courtepointe de damas rouge.
Pourtant, malgré l'insistance qu'elle mettait à fixer la porte, Catherine n'entendit ni ne vit entrer Garin. Il sortit de l'ombre d'un renfoncement, soudainement, silencieusement, et s'avança sans bruit sur les fourrures sombres comme une apparition. Effrayée, Catherine réprima un petit cri, remonta ses couvertures qu'elle tint bien serrées sur sa poitrine.
— Vous m'avez fait peur ! Je ne vous ai point entendu entrer...
Il ne répondit pas, continua d'approcher du lit dont il gravit les deux marches. Son œil sombre était fixé sur la jeune femme effrayée qui le regardait venir mais ses lèvres serrées n'avaient pas un sourire. Il semblait plus pâle que de coutume. Emprisonné du cou aux talons dans une longue robe de velours noir, il avait quelque chose de funèbre aussi peu approprié que possible à la circonstance. Il semblait le fantôme de ce château solitaire et son mauvais génie. Avec un petit gémissement apeuré, Catherine ferma les yeux attendant ce qui allait suivre.
Elle sentit, tout à coup, des mains sur sa tête. Elle comprit que Garin défaisait ses nattes, habilement, légèrement. Bientôt les cheveux libérés glissèrent sur ses épaules, sur son dos, comme un manteau rassurant. Les gestes de Garin étaient doux, peu hâtifs. Catherine osa rouvrir les yeux, le vit considérer une longue mèche dorée qu'il avait gardée dans sa main et qu'il faisait miroiter dans la lumière rouge des flammes.
— Messire... balbutia-t-elle.
Mais il lui fit signe de se taire. Il ne la regardait toujours pas, continuait à jouer avec la mèche soyeuse. Soudain, il dit :
— Levez-vous !
Elle n'obéit pas tout de suite, ne comprenant pas ce qu'il voulait.
Alors, il la prit doucement par la main, répéta :
— Levez-vous...
— Mais...
— Allons ! Obéissez ! Ne savez-vous pas que vous me devez soumission entière ? Ou bien n'avez-vous rien entendu de ce qu'a dit le prêtre ?
Le ton était froid, sans passion. Il énonçait simplement un fait.
Docile, elle quitta son lit, s'avança sur les peaux d'ours, pieds nus, relevant légèrement le vêtement de soie blanche un peu trop long, pour ne pas tomber.
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