Il suffit d'un amour
demeurée devant l'âtre, s'en revêtit et alla baigner son visage dans une cuvette d'argent, posée sur un coffre avec une aiguière d'eau d'oranger. La fraîcheur de l'eau lui fit du bien. Autour d'elle c'était le silence absolu, une énorme solitude. Les chiens eux-mêmes étaient sortis, sans doute sur les talons de Garin ; elle ne s'était même pas rendu compte de leur départ. Un peu calmée, elle retourna se coucher, se cala confortablement dans ses oreillers et tenta d'y voir clair.
L'aventure de cette étrange nuit de noces lui en avait appris sur ellemême bien plus que les dix dernières années écoulées. Elle avait découvert qu'il lui faudrait, à l'avenir, se méfier de son propre corps et de ses imprévisibles réactions. Lorsqu'elle s'était abandonnée entre les bras d'Arnaud, elle avait attribué sa faiblesse à la puissance de l'amour immédiat que lui avait inspiré le chevalier. Mais ce soir ? Elle n'aimait pas Garin. Elle n'était aucunement attirée par lui et pourtant... elle avait été à deux doigts de le supplier de la prendre dans ses bras. Son corps s'était révélé exigeant, avide, receleur de forces troubles dont elle n'avait jamais soupçonné l'existence auparavant.
Quant à l'attitude de son mari, elle renonçait à l'expliquer. Il était réellement impossible d'y comprendre quelque chose.
Le lendemain était la veille de Noël. Une musique aigrelette tira Catherine de son sommeil. Les rideaux avaient été tirés, laissant voir le jour triste d'hiver mais le feu flambait de plus belle dans la cheminée devant laquelle, assis dans un fauteuil, un lévrier à ses pieds, Garin était assis, toujours vêtu de sa robe noire, comme s'il venait de se lever. Comme Catherine se dressait sur son séant, il eut un mince sourire.
— Ce sont les hautbois de l'Avent, ma mie. Comme le veut la coutume, ils doivent jouer ici toute la journée jusqu'à minuit. Il faut vous apprêter pour les accueillir. Je vais appeler vos femmes...
Ahurie, mal réveillée, Catherine vit entrer ses servantes qui vinrent, joyeusement, lui souhaiter le bon jour. Toutes étaient très gaies et voltigeaient autour du lit, tendant l'une la dalmatique fourrée, l'autre les pantoufles, la troisième un miroir. Mais leurs regards malins glissaient irrésistiblement vers Garin, carré .dans son fauteuil. Il surveillait toute cette joyeuse agitation d'un air indulgent jouant parfaitement son personnage de nouveau marié heureux d'assister au lever de la femme aimée... Devant cette comédie, Catherine ne savait si elle devait rire ou se fâcher.
Seule Sara conservait son calme. Elle était entrée la dernière, portant la robe de lendemain de noces que Catherine devait revêtir pour cette journée : une toilette de drap couleur de miel brodé d'épis de blé en soie ton sur ton cernés d'un mince fil d'or. Les larges manches, le décolleté et le bas de la robe étaient ourlés de zibeline d'un brun chaud. La robe de dessous était de satin couleur miel, tout unie. Quant à la coiffure qui absorba toute la chevelure de Catherine elle était faite d'un double bourrelet de zibeline tendu sur une haute forme de drap brodé d'où tombait un court voile assorti. Une large ceinture orfévrée retint les plis de la robe, juste sous les seins, et un collier, fait d'épis d'or et de belles topazes rondes vinrent compléter cette toilette que Sara aida sa maîtresse à revêtir avec des gestes de prêtresse à l'autel.
Mais le visage de la bohémienne était sombre et, tout le temps que dura la toilette, elle ne sonna mot ; Garin s'était retiré pour vaquer à sa propre toilette et les deux femmes auraient pu parler s'il n'y avait eu l'essaim espiègle des jeunes servantes. Aussi, lorsque Catherine fut prête, Sara les congédia-t-elle d'un geste agacé puis se tourna vers la jeune femme.
— Alors, demanda-t-elle, tu es heureuse ?
La brutalité de l'attaque surprit Catherine. Sara semblait de fort mauvaise humeur. Ses yeux noirs examinaient le visage de la nouvelle dame de Brazey comme si elle cherchait à y lire quelque chose. Catherine fronça les sourcils.
— Pourquoi ne le serais-je pas ? Ou plutôt, pourquoi le serais-je ?
Je ne suis pas mariée pour être heureuse. On dirait que tu l'ignores !
— Je sais. Je voulais seulement que tu me dises comment s'est passée cette nuit de noces. C'est une chose si importante qu'un premier contact intime, dans la vie d'une femme !...
— Très bien, fit Catherine
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