Il suffit d'un amour
toujours ?
Mon père est mort, il y a maintenant dix ans et je m'en souviens mal.
C'était un vieil homme de guerre, toujours sombre. Il avait passé sa jeunesse à chasser l'Anglais avec le Grand Connétable et, après Chateauneuf-de-Randon qu'ils assiégeaient ensemble et où Bertrand Du Guesclin trouva la mort, il avait raccroché son épée au mur parce qu'aucun chef ne lui semblait plus digne d'être servi. Ma mère, elle, a tenu la terre et m'a fait homme. C'est elle qui m'a envoyé auprès de Monseigneur de Berry, notre suzerain, au service de qui je suis demeuré un an avant d'être cédé au prince Louis de Guyenne. Ma mère mène tout là-bas, de main de maître et garde encore auprès d'elle mon jeune frère...
Saisie d'un respect soudain, un peu triste aussi de le sentir tellement au-dessus d'elle, Catherine demanda :
— Vous avez un frère ?
— Oui. Il est mon cadet de deux ans et brûle de se battre. Oh, ajouta Michel avec un sourire qui s'attendrissait, il fera un fameux capitaine ! Il faut le voir monter à cru les gros chevaux des métairies et entraîner à l'assaut les garnements du village. Il est déjà fort comme un Turc et ne rêve que plaies et bosses. Mais je l'aime bien, mon petit Arnaud !... Bientôt il entrera, lui aussi, dans la carrière des armes. Ma mère demeurera seule. Elle en souffrira sans doute, mais elle n'en dira rien. Elle est trop haute et trop fière pour une plainte.
En évoquant les siens, le visage de Michel s'était éclairé d'une telle lumière que Catherine, extasiée, ne put s'empêcher de demander :
— Votre frère, est-ce qu'il est aussi beau que vous ?
Michel se mit à rire, caressa doucement la tête blonde.
— Bien plus ! Cela ne se compare pas. Et il est tendre aussi sous son aspect farouche, de cœur chaud, lier et passionné. Je crois qu'il m'aime beaucoup !
Sous la main qui caressait sa tête, Catherine, tremblante, n'osait bouger. Brusquement Michel se pencha, posa ses lèvres sur le front de la petite, tout près des tempes.
— Malheureusement, dit-il, je n'ai pas de petite sœur à aimer !
— Elle vous aurait aimé fort, elle aussi, commença Catherine extasiée.
Mais elle s'arrêta, épouvantée. Au-dessus de sa tête, un pas résonnait. Elle avait oublié la fuite du temps et Loyse devait être rentrée. Il fallait remonter. Michel, d'ailleurs, avait entendu lui aussi et écoutait, la tête levée .vers les poutres. Rapidement, pour justifier sa présence dans la resserre, Catherine ramassa quelques bûches, se hâta vers l'échelle en posant un doigt sur ses lèvres pour recommander le silence au fugitif. Derrière elle la trappe et l'obscurité retombèrent sur lui. Mais lorsque la petite, ses bûches dans les bras et sa chandelle dessus, parvint à la cuisine, elle vit que c'était Marion qui était rentrée. Celle-ci la regarda avec un mélange de surprise et de colère.
— Comment... tu es là ? Mais d'où sors-tu ?
— Tu vois : de la cave, fit Catherine suave. J'aiété chercher du bois.
La grosse Marion avait un drôle d'aspect, ce soir. Très rouge, sa large figure couperosée presque vernie, le bonnet en bataille, elle avait de nettes difficultés d'élocution. Son regard, vacillant, avait du mal à fixer quelque chose. Elle n'en attrapa pas moins Catherine par un bras pour la secouer d'importance.
— T'as de la chance que tes parents aient été dehors toute la sainte journée, petite malheureuse ! Sinon, les fesses auraient pu t'en cuire. Aller traîner comme ça, tout le jour, avec un garçon.
Elle se penchait vers Catherine suffisamment pour que celle-ci sentît son haleine fortement parfumée de vin. D'un geste sec la jeune fille dégagea son bras, posa sa chandelle sur un escabeau et ramassa deux bûches qui avaient roulé à terre.
— Et aller boire au cabaret avec les commères ? Tu crois que c'est mieux ? Si j'ai de la chance, tu en as au moins autant que moi, Marion, et, à ta place, j j'irais me coucher avant que Maman ne revienne.
Marion se savait en faute. Ce n'était pas une mauvaise créature. Née un peu trop près des vignes de Beaune, elle aimait le vin plus qu'il ne convient à une femme. Ce n'était pas souvent qu'elle se laissait aller à son penchant parce que Jacquette Legoix dont elle était la sœur de lait et qui, lors de son mariage avec Gaucher Legoix l'avait amenée avec elle depuis la Bourgogne, la surveillait de près. Deux ou trois fois, Marion s'était fait surprendre en état
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