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Il suffit d'un amour

Il suffit d'un amour

Titel: Il suffit d'un amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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membres lui revenaient et le quartier de Barnabé était loin d'être calme ! Dès avant matines et jusqu'à ce que le cor de la guette sonnât d'une des tours du Châtelet pour annoncer le lever du jour et la relève de la garde des portes, une inquiétante cohue emplissait la place, sortie de toutes les tanières, de toutes les ruelles. Alors, les perclus se redressaient, les aveugles voyaient, les plaies purulentes, qui soulevaient le cœur et la charité des bonnes âmes, étaient arrachées d'un revers de main et ce miracle quotidien qui avait donné son nom à ces sortes d'endroits, lâchait une foule avide et brutale. Cela hurlait, chantait et festoyait toute la nuit. Il y avait alors près de 80 000
    mendiants, vrais ou faux, dans Paris.
    La règle du royaume de Thune voulait que tout ce qui avait été récolté, mendié ou volé dans la journée, fût dévoré dans la nuit même.

    On festoyait, après avoir jeté à la masse commune, aux pieds du roi de Thune, la récolte de la journée. De grands feux s'allumaient en plein vent, sur lesquels rôtissaient des animaux entiers. Des tonneaux étaient mis en perce et des marmites bouillaient de loin en loin, surveillées par des sorcières qui n'avaient rien à envier à celles des contes fantastiques. Toute la Grande Cour s'illuminait du rougeoiement des feux et des torches tandis que les ombres bizarres dansaient, échevelées, sur les murs lépreux des masures. Pour Catherine, c'était une fenêtre sur un monde qu'elle connaissait par ouï-dire mais qui lui avait toujours paru appartenir au domaine de l'irréel.
    Devant le plus grand des feux un homme trônait, assis sur un tas de pierres recouvert de chiffons. Un cou de taureau enfoncé dans des épaules démesurées, un torse long, triangulaire, fiché sur de courtes jambes grosses comme des montoirs à chevaux, une tête carrée couverte d'un chaume pisseux que drapait un bonnet jadis rouge, une large face vineuse dans laquelle surprenait l'éclair étincelant des dents, tel était Mâchefer, roi de Thune et d'Argot, souverain seigneur des seize Cours des Miracles parisiennes et grand maître de toute la truanderie française. Un bandeau noir cachait son œil gauche, crevé par la main du bourreau, et achevait d'en faire une figure de cauchemar. Assis sur son tas de pierres, poings aux genoux, sa bannière, formée d'un quartier de viande saignante fiché sur une pique, plantée à côté de lui, il présidait les ébats de ses peuples en buvant force cervoise, qu'une ribaude à demi nue lui versait sans arrêt.
    Nuit après nuit, dès qu'elle en eut la force, Catherine, fascinée par le spectacle, quittait sa couche et se glissait jusqu'au soupirail. Au ras du sol, il composait, avec l'étroite fenêtre de l'étage, tout l'éclairage du château de Barnabé. Là, le cou tendu, ouvrant sur la bacchanale des yeux avides, elle ne perdait rien de ce qui se déroulait dans la Cour. Et comme, obligatoirement, le festin des gueux se terminait en orgie, elle apprit ainsi bien des choses sur les lois de la nature. Lorsque, dans la lumière sanglante des feux mourants, elle pouvait voir les truands rouler pêle- mêle un peu partout, sans même prendre la peine de chercher l'ombre, une bizarre émotion s'emparait d'elle, un trouble qui venait des fibres profondes de son corps adolescent, joint à une intense curiosité. Si Jacquette l'avait surprise, elle serait morte de honte, mais, seule dans son coin sombre, elle ne pouvait détacher ses yeux de ce qui se passait. Elle apprit ainsi quelques-unes des coutumes du royaume d'Argot et de Thune.
    Par exemple, elle fut plusieurs fois le témoin ébahi de l'entrée d'une nouvelle sujette dans le peuple de l'ombre. Lorsqu'une fille jeune était amenée chez les truands, elle était d'abord dépouillée entièrement de ses vêtements puis devait danser nue devant le roi au son des tambourins. Si Mâchefer ne la faisait pas sienne et ne l'envoyait pas grossir son harem déjà imposant, ceux à qui elle plaisait étaient admis à se battre pour sa possession. Laquelle était réalisée devant tous par le vainqueur.
    La première fois, Catherine se cacha les yeux puis courut fourrer sa tête sous ses couvertures. La seconde, elle resta, risqua un œil entre ses doigts écartés. La troisième, elle examina la cérémonie de bout en bout.
    Une nuit, Catherine vit amener devant Mâchefer une très jeune fille qui ne devait pas être beaucoup plus âgée qu'elle-même. Un an

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