Il suffit d'un amour
Michel sans se compromettre soi-même.
— C'était impossible, ricana Catherine et cependant moi qui n'étais qu'une fillette j'ai voulu le tenter. Pour cela mon père a été pendu, ma mère et moi chassées. Nous avons dû nous enfuir, gagner Dijon où mon oncle Mathieu Gautherin est drapier. C'est là que j'ai vécu depuis ce drame...
Un silence tomba entre les deux adversaires. Catherine, reprise par les souvenirs cruels de ces jours sombres, sentait son cœur battre comme un tambour. Le visage sombre de Philippe ne présageait rien de bon.
Tout à l'heure, il ferait jeter l'insolente au fond d'une basse-fosse, c'en serait fait du bon Mathieu et de tous les siens. Pourtant, même si la silhouette rouge du bourreau se fût soudain dressée au milieu de la chambre luxueuse, elle eût répété chacun des mots qu'elle venait de jeter à la face du puissant maître de la Bourgogne. Elle éprouvait même une sorte de satisfaction intime de l'avoir fait. C'était en quelque sorte une revanche sur le passé...
Elle prit une profonde respiration, rejeta en arrière une mèche de cheveux et demanda :
— Qu'allez-vous faire de moi, Monseigneur ? Mon oncle doit être dans une bien grande angoisse à mon sujet. Il aimerait sûrement être fixé... Même s'il s'agit du pire !
Philippe haussa rageusement les épaules, jeta par la fenêtre la rose que ses doigts avaient écrasée, ou du moins ce qu'il en restait. Quittant sa pose nonchalante, il fit quelques pas vers Catherine.
— Que vais-je faire de vous ? Troubler une procession mérite une punition, bien sûr, mais vous m'en voulez déjà tellement que j'hésite à vous déplaire encore. Et puis... j'aimerais qu'à l'avenir nous soyons amis. Après tout, une jeune femme est libre de se défendre quand on l'attaque, et cet homme qui a osé...
— Ce qui veut dire, Monseigneur, que ce malheureux paiera pour moi ? En ce cas, pardonnez-lui comme je lui pardonne. Son geste ne mérite pas tant de bruit.
Pour secouer la gêne qui s'emparait d'elle sous le regard attaché avec tant d'insistance à son visage, elle était retournée au miroir et elle s'y regardait, mais sans bien se voir. L'image du duc s'inscrivit auprès de la sienne dans le cercle d'or, la dominant de toute la tête et, soudain, elle frissonna : deux mains chaudes venaient d'emprisonner ses épaules...
Le miroir lui renvoya leurs deux visages aussi pâles l'un que l'autre.
Une flamme étrange brûlait dans les yeux du jeune duc et ses mains tremblaient légèrement sur la peau soyeuse. Il se pencha assez pour que son souffle chauffât le cou de la jeune fille tandis que, dans la glace, il gardait le regard violet prisonnier du sien.
— Ce rustre mérite cent fois la mort pour avoir osé ce que moi-même je n'ose... quelqu'envie que j'en aie. Vous êtes trop belle et j'ai peur de ne plus trouver le repos loin de vous... Quand deviez-vous quitter cette ville ?
— Sitôt la procession terminée ! Nos bagages étaient faits, nos mules prêtes.
— Alors partez, comme vous le désiriez, partez ce soir même et que demain vous ayez mis entre vous et Bruges autant de lieues que faire se pourra. Un sauf-conduit vous ouvrira les portes de la ville et vous assurera la route libre. Nous nous retrouverons à Dijon où, d'ailleurs, je devrais être.
Gênée et aussi vaguement troublée par ces mains qui la serraient toujours, Catherine sentit un bizarre émoi gonfler sa gorge. La voix de Philippe était à la fois dure et chaude, impérieuse et tendre. Elle voulut lutter contre la fascination réelle qu'il exerçait sur elle.
— Nous retrouver à Dijon ? Monseigneur ! Que peut faire de la nièce d'un drapier le haut et puissant duc de Bourgogne sinon détruire sa réputation de fille sage ? demanda-t-elle avec un brin d'insolence qui fouetta le sang de Philippe.
Quittant les épaules de la jeune fille, ses mains se perdirent dans les flots soyeux de la chevelure au milieu de laquelle, un court instant, il cacha son visage.
— Ne sois pas coquette, murmura-t-il d'une voix qui s'enrouait. Tu sais très bien l'effet que tu as produit sur moi et tu en joues impitoyablement. L'amour d'un prince n'apporte pas forcément le déshonneur. Tu sais bien que je ferai des prodiges pour t'avoir. Tu ne serais pas fille d'Ève si tu ne savais lire le désir dans les yeux d'un homme.
— Monseigneur ! protesta-t-elle.
Elle fit un geste pour l'écarter mais il la tenait bien. Possédé tout entier par ce désir
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