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Il suffit d'un amour

Il suffit d'un amour

Titel: Il suffit d'un amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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enchevêtrées, dressait une silhouette fantastique.
    Mais derrière un volet, une lumière brillait malgré le couvre-feu. Une voix de femme chantait ou plutôt psalmodiait une bizarre mélopée dans une langue inconnue.
    A mesure que l'on approchait de la maison, la voix se faisait plus nette. Elle montait, parfois, jusqu'à une note aiguë qu'elle soutenait au point de la rendre insupportable, puis se brisait et reprenait, rauque et sourde. A côté d'elle Catherine entendit l'étrange rire grinçant de Jehan des Écus.
    — Ha, ha !... Il y a fête chez Jacquot... tant mieux...
    Quand ils furent devant la maison, une ombre se détacha de la porte. Catherine vit briller une hache.
    — La passe ? fit une voix rogue.
    — Ferme à la manche ! répliqua Jehan des Écus.
    — Ça va, passez !...
    La porte s'ouvrit, découvrant l'intérieur du fameux cabaret de Jacquot de la Mer, rendez-vous de la pègre dijonnaise. Les bons bourgeois n'en parlaient qu'à mots couverts, en se signant et avec une terreur sacrée. On ne comprenait pas à première vue que le vicomte mayeur laissât subsister cette demeure du péché.
    N'importe quelle dame dijonnaise se fût évanouie d'horreur si elle avait pu deviner que, parfois, à la nuit close, son respectable époux se glissait jusqu'à la maison réprouvée pour y monnayer les charmes faciles d'une belle fille. Mais Jacquot de la Mer s'y entendait à choisir ses pensionnaires et sa maison pouvait soutenir avantageusement la comparaison avec les étuves les plus fameuses. En bon commerçant, il tenait à satisfaire sa clientèle...
    Au premier regard, Catherine ne vit rien qu'un kaléidoscope de couleurs violentes. Une clameur de cris et de musique lui sauta à la figure mais se calma subitement tant l'apparition de cette belle fille, pâle et échevelée, entre ses deux sinistres compagnons, était étrange.
    La jeune fille put distinguer alors la grande salle basse et voûtée où l'on descendait par quelques marches de pierre. Au fond, dans une gigantesque cheminée trois moutons rôtissaient ensemble et, un peu partout, il y avait des bancs, des tables de bois graisseux, toutes occupées. Un escalier de bois montait au fond de la pièce, se perdait dans le plafond. Les buveurs offraient un aspect bigarré ; il y avait quelques soldats ivres, et aussi de jeunes gars aux yeux écarquillés, des étudiants ou des apprentis venus là s'encanailler. Près de l'âtre, deux vieilles s'occupaient de la cuisine mais, un peu partout, sur les bancs, sur les genoux des buveurs ou assises à même la table parmi les flaques de vin et les gobelets d'étain il y avait des filles, le corsage largement dégrafé ou même complètement nues. Leurs corps mettaient des taches pâles dans la pénombre fumeuse. Les flammes des quinquets et celles de l'âtre dansaient sur les peaux claires ou mates avec des reflets de satin et aussi sur les trognes écarlates des ivrognes avec des rougeoiements de rubis au soleil.
    L'instant d'étonnement causé par leur entrée passé, la bacchanale avait repris tandis que Catherine et ses gardiens descendaient les marches. Les cris, les danses reprirent. Une fille au corps brun, aux seins lourds avait sauté sur une table et se contorsionnait lascivement au milieu d'une forêt de mains tendues. Catherine, épouvantée, se crut en enfer et ferma les yeux.
    Du fond de son souvenir, des images analogues se levaient, celles qu'elle avait surprises dans la Grande Cour des Miracles, quand elle se cachait dans la masure de Barnabé, mais alors qu'à cette époque elles avaient seulement étonné et vaguement effrayé l'enfant qu'elle était, elle s'étonnait, s'indignait même de l'étrange plaisir trouble que celles-ci faisaient naître en elle.
    La femme qui chantait tout à l'heure recommença une autre chanson, et le son rauque, nostalgique et bas de sa voix fit rouvrir les yeux de Catherine. Cette femme, vêtue d'une robe de satin couleur flamme, des sequins d'or dans les cheveux, était assise sur l'escalier du fond, au milieu d'une troupe d'hommes. Un joueur de luth, penché vers elle, l'accompagnait. Elle chantait les yeux clos, les mains nouées autour de ses genoux et Catherine ne sursauta qu'à peine en la reconnaissant parce que, décidément, cette nuit était la nuit des surprises. C'était Sara...
    Elle n'avait pas remarqué Catherine et l'eût-elle fait que cela n'eût servi à rien car, ainsi que la jeune fille put s'en rendre compte, elle était ivre.

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