Il suffit d'un amour
mais plus rarement...
Dans les débuts, Catherine ne savait pas bien ce que pouvait être une maison publique jusqu'au jour où elle s'en était ouverte à Sara. La tzingara avait pour principe de dire les choses comme elles sont, estimant la vérité cent fois préférable à l'hypocrisie pour l'éducation des filles.
— Une maison publique est une maison où des filles folles vendent leurs corps aux hommes pour de l'argent, avait-elle dit.
Ainsi renseignée, Catherine se l'était tenu pour dit mais elle pensait aux paroles de la bohémienne tandis qu'elle se glissait le long des maisons biscornues de la rue du Griffon, tâchant de se confondre autant qu'elle pouvait avec les ombres épaisses des toits et d'éviter le centre, plus clair, de l'étroite et tortueuse artère.
Quand il fallut traverser la place de la Sainte Chapelle, elle s'y prit à deux fois, courut d'une traite jusqu'au Calvaire élevé au milieu, y reprit haleine. L'ombre noire du Crucifié s'étendait loin sur la terre durcie de la place, flanquée de celles de la Madeleine et de saint Jean dont les visages de pierre contemplaient interminablement la Divine Agonie. Ayant retrouvé son souffle, Catherine longea le pourpris ducal. Les tours donnaient une ombre épaisse mais il fallait se méfier des archers de garde dont les casques luisaient faiblement. Reprenant sa course, elle se jeta dans la rue des Forges aux baraques lépreuses qui sentaient toujours le bois brûlé, le cuir roussi et la graisse d'armes.
La rue était extraordinairement étroite et, souvent, des incendies, allumés par les feux de forges trop proches, s'y déclaraient. Aussi chaque maison avait-elle, au seuil, un grand seau, un soilloz de cuir qui servait à charrier l'eau en cas de besoin. Catherine savait cela mais troublée ne s'en méfia pas. Elle buta dans un de ces seaux, tomba lourdement et jura le plus naturellement du monde. Ce n'était pas son habitude mais elle y trouva un réel soulagement.
A l'endroit où la ruelle rejoignait le Bourg, la grand-rue commerçante de la ville, elle s'élargissait pour former une placette, assez grande, toutefois, pour qu'un pilori y tînt à l'aise. Il était vide pour le moment mais ce n'était pas une vue agréable. Détournant les yeux, Catherine voulut poursuivre son chemin quand elle se sentit retenue par le pan de sa cape et poussa un cri. Une ombre cahotante sortit d'une encoignure, hoqueta puis se mit à rire tandis que des mains rudes s'emparaient de sa taille sous la cape qui tomba.
Paralysée par la peur, la jeune fille eut cependant un réflexe de défense. Sa taille souple se tordit entre les mains, peut-être maladroites, qui la tenaient et elle glissa comme une anguille. Sans plus se préoccuper de sa cape, elle se mit à fuir droit devant elle, s'efforçant malgré tout de dominer sa terreur pour ne pas se perdre. Il fallait qu'elle atteignit la taverne du roi des Truands.
Mais elle ne pouvait ignorer qu'on la poursuivait. Sur ses talons, elle entendait le claquement sourd et mat de pieds nus et le halètement de l'homme lancé sur sa piste. La nuit devenait plus sombre, plus noir le labyrinthe des ruelles étroites à travers lesquelles elle traçait son chemin. Des puanteurs d'eaux sales, de détritus et de viandes pourries la prenaient à la gorge et un instant elle crut défaillir. Nul ne songeait à enlever les ordures autrement que périodiquement, quand il y en avait trop. On jetait alors à l'Ouche et au Suzon ce dont les porcs et les chiens errants n'avaient pas voulu...
Dans le renfoncement d'une porte, un tas de haillons bougea et Catherine terrifiée vit une autre ombre se jeter à sa suite avec un rire idiot. Une horreur sans nom se saisit d'elle. S'efforçant de précipiter sa course, elle s'interdit de se retourner. Mais courant ainsi en aveugle, elle ne prenait pas garde où posaient ses pieds. Elle buta contre un tas d'ordures d'où s'élevait une puissante odeur de poisson pourri, jeta ses mains en avant pour trouver un appui, sentit les pierres gluantes d'un mur et s'y colla, défaillante,
à bout de souffle, fermant les yeux... Ses poursuivants étaient sur elle...
Elle sentit les mains de tout à l'heure s'emparer à nouveau de sa taille, la manier sans douceur tandis qu'une odeur fétide montait à ses narines. L'homme était très grand car il cachait le ciel.
— Alors, chuchota-t-il d'une voix enrouée, on est bien pressée ?
Où court-on si vite, un rendez-vous ?
Du moment où
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