Il suffit d'un amour
elle s'était éprise de lui au premier regard, comment l'appel de Mathieu l'avait arrachée de ses bras au moment où elle allait se donner à lui. Elle parlait, parlait sans effort, tout naturellement, ayant aboli toute pudeur. Assise sur le coin du matelas, les mains nouées autour des genoux, les yeux perdus dans l'ombre noire des solives, elle semblait réciter pour elle-même une belle histoire d'amour. Barnabé retenait sa respiration pour ne pas rompre le charme, car il comprenait qu'à cet instant, Catherine l'avait oublié.
Quand la voix de la jeune fille s'éteignit, le silence s'étendit entre les deux interlocuteurs. Catherine avait ramené son regard sur son vieil ami. La tête sur la poitrine, Barnabé réfléchissait.
— Si je comprends bien, dit-il au bout d'un moment, tu refuses Garin de Brazey parce que tu veux te garder toute à ce garçon qui te hait, te méprise et t'a tout juste épargnée parce que tu es femme... ou bien parce que, dans cette auberge et blessé par surcroît, il craignait de ne pas s'en tirer. Tu n'es pas un peu folle, dis-moi ?
— Crois-le ou ne le crois pas, riposta Catherine sèchement, mais il en est ainsi. Je ne veux pas appartenir à un autre homme.
Tu diras ça au duc, grogna Barnabé. Je me demande ce qu'il en pensera. Quant à Garin, comment comptes-tu t'en tirer ? Pas d'illusions, il est prêt à obéir au duc. C'est un trop fidèle serviteur pour ça... et aussi tu es une trop belle fille pour qu'on te refuse. Toi, tu n'as pas davantage le droit de dire non sous peine d'attirer sur les tiens la colère du seigneur. Et il n'est pas tendre notre bon duc. Alors ?
— C'est pour ça que je suis venue te voir...
Catherine s'était relevée et s'étirait, engourdie par sa position courbée. Sa fine silhouette s'allongea dans ; la lueur dansante et rouge de la chandelle. La masse dorée, fulgurante de sa chevelure l'enveloppait d'une sorte de gloire qui serra soudain le cœur du Coquillart.
La beauté de cette fille devenait insoutenable et Barnabé du fond de son affection plus inquiète qu'il ne voulait bien l'admettre, sentit qu'elle était de celles qui déchaînaient les guerres, font s'entre-tuer les hommes et apportent bien rarement le bonheur à leurs propriétaires, tant l'excès en tout peut devenir dangereux. Il n'est jamais bon de dépasser de si haut le niveau commun...
Il acheva de vider le pot de vin puis le jeta à terre d'un geste indifférent. Le pot se brisa et quelques débris roulèrent dans la poussière loin du grabat.
— Qu'attends-tu de moi ? demanda-t-il calmement.
— Que tu rendes impossible ce mariage. Je sais que tu disposes de moyens nombreux... et d'hommes aussi. Il est peut-être possible de m'empêcher de me marier sans que j'aie à refuser et sans que Garin de Brazey ait à se dresser contre son seigneur.
— Ce qu'il ne fera pas. Alors, ma chère, je ne vois qu'un seul moyen : la mort. Pour toi ou pour Garin. Je suppose que tu ne tiens pas à mourir ?
Incapable de répondre, Catherine secoua la tête, les yeux obstinément baissés sur ses souliers poussiéreux. Barnabé ne se trompa pas à ce silence.
— Alors, c'est pour lui ! C'est bien ça, n'est-ce pas ? Pour rester fidèle à je ne sais quel amour stupide, tu condamnes froidement un homme à mort... et quelques autres avec, car tu ne supposes pas qu'une fois le grand argentier défunt, le Prévôt ducal se croisera les bras ?
La voix dure de Barnabé fouillait au plus profond de l'âme de la jeune fille avec l'impitoyable cruauté d'une lame de chirurgien. Il l'obligeait à voir clair en elle et la honte l'envahissait. Les aperçus que cette nuit étrange lui donnait sur son être intime étaient assez effrayants. Pourtant, si la mort seule de Garin pouvait la préserver d'une union qui lui faisait à la fois peur et horreur, Catherine était prête à l'envisager froidement. Elle le signifia à Barnabé avec une détermination glacée qui confondit le Coquillart.
— Je ne veux pas appartenir à cet homme. Arrange-toi comme tu voudras !
A nouveau le silence, dense, épais comme une masse de terre, entre la fille murée dans sa résolution et le truand confondu de ce qu'il découvrait en elle. Au fond Barnabé la retrouvait ainsi plus proche de lui ; plus compréhensible, un peu comme si cette enfant qu'il aimait était sa fille à lui au lieu d'être celle de paisibles artisans.
Comment le bon Gaucher et la pieuse Jacquette avaient-ils pu donner le jour à ce
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