Jacques Cartier
l'humanité érige des monuments, témoignages de sa gratitude. Et pourtant, oh ! je le répète ici, avec un vif sentiment de douleur, dans cette France si noble, si généreuse, qui a eu la gloire de lui donner le jour, Jacques Cartier attend encore sa statue !
Mais nous ne connaissons donc pas ses voyages ! mais nous n'en avons donc pas lu les Relations ! mais nous ne savons donc pas perpétuer la mémoire de nos ancêtres ! Nouvelle Athènes, la France restera-t-elle éternellement ingrate envers l'un des meilleurs, l'un des plus dignes de ses enfants ! Le coeur saigne, à cette pensée.
Quand je vois Cartier hardi tout autant que Colomb, son égal en habileté, son supérieur en persévérance ; quand je le vois ce magnifique caractère lutter contre l'ignorance ou le mauvais vouloir de ses compatriotes, résister aux sollicitations de ses affections intimes, opposer une poitrine de fer aux infatigables coups de la fatalité ; ne se laisser abattre ni par les violences inusitées d'une température ordinairement excessive, ni par le déchaînement d'une maladie épouvantable, ni par les menaces, chaque jour plus terribles, des tribus sauvages qui l'entourent, ni enfin par la mort qui frappe, frappe encore, frappe toujours autour de lui ; quand je vois tout cela, je ne crains pas de me demander qui fut le plus méritant du pilote malouin ou du navigateur génois.
Capricieuse déesse que la fortune ! L'univers sait l'histoire de Colomb ; combien y a-t-il de gens, dans sa propre patrie, qui soupçonnent celle de Jacques Cartier ? Qui oserait dire, cependant, que les explorations de celui-ci sont moins estimables que les découvertes de celui-là ? Qui s'aviserait de prétendre que les Canadas et les États-Unis d'Amérique ne valent pas aujourd'hui pour le mouvement civilisateur, comme pour la richesse de toute nature, le Mexique, le Brésil, le Chili ou le Pérou ?
Ah ! si les Français possédaient la vingtième partie de l'esprit vantard, pompeux jusqu'au ridicule des Espagnols et des Portugais, il ne serait pas besoin de venir, trois cents ans après la mort de Cartier, réclamer pour notre honneur, plus encore que pour le sien, une place au soleil de la renommée !
Il fut, sans doute, remarquable par l'habile direction de son expédition jusqu'à Hochelaga. Mais il le fut, à mon sens, bien autrement par sa conduite, durant les quatre mois qu'il passa au milieu de la peste, sur des navires mal approvisionnés, environnés de peuplades hostiles et sous un froid souvent de plus de 30 degrés !
La glace avait six pieds d'épaisseur, la neige quatre et davantage. Le Saint-Laurent était gelé. Le pont s'étendait de la pointe de Stadacone jusqu'à Hochelaga soixante lieues de longueur sur une de large en plusieurs endroits.
La débâcle eut lieu le 22 février, devant Stadacone ; beaucoup plus tard devant Montréal. Mais ce fut le 5 avril [Ces dates et les précédentes sont conformes à l'ancien calendrier. D'après celui que nous suivons, exécuté sous Grégoire XIII et mis en vigueur à partir de 1582, il faut, pour avoir les dates modernes, ajouter dix jours à chaque période.] seulement qu'elle se fit dans la rivière de Sainte-Croix et que les navires se délivrèrent enfin de leurs lourdes entraves de cristal.
Le scorbut avait cessé de répandre la mort dans les équipages. Grâce aux infusions et aux cataplasmes d'épinette blanche, nos mariniers se rétablissaient rapidement. D'abord, ils avaient fait des difficultés pour user du remède. Mais l'exemple d'Étienne Noël, sa cure miraculeuse déterminèrent les plus récalcitrants. «Après avoir vu et connu, il y eut, dit Cartier, telle presse sur ladite médecine qu'on se voulait tuer à qui le premier en aurait. De sorte qu'un arbre aussi gros et aussi grand que chêne qui soit en France, a été employé en six jours, lequel a fait telle opération que, si tous les médecins de Louvain et de Montpellier y eussent été avec toutes les drogues d'Alexandrie, ils n'en eussent pas tant fait en un an que ledit arbre en a fait en six jours.»
Mais si la santé était revenue, l'inquiétude régnait toujours au havre de Sainte-Croix. De la part des sauvages on redoutait une attaque. Ils n'apportaient plus comme autrefois des provisions aux équipages. Quand par hasard ils le faisaient, c'était de mauvaise grâce et ils vendaient fort cher leurs denrées.
Donnacona, Taignoagny et d'autres étaient partis, sous couleur d'aller chasser.
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