Jacques Cartier
étaient bien armés, la revue ayant été le prétexte de cet armement. Il ût un signe convenu. Aussitôt les mariniers entourèrent Donnacona, Taignoagny, Domagaia, deux autres «seigneurs» et les arrêtèrent.
La foule s'enfuit épouvantée en poussant des hurlements affreux «les ungs le travers la rivière, les aultres parmy le boys, serchant chacun son avantage.»
Les prisonniers furent enfermés à bord et on accéléra l'appareillage.
Pendant toute la nuit, les sauvages rôdèrent autour du fort, en emplissant l'air de cris affreux.
Le lendemain, appréhendant que l'irritation ne les poussât à quelque résolution désespérée, Cartier ordonna à Donnacona de les rassurer sur son sort. On avait imposé un discours à l'agouhanna. En conséquence, il annonça à ses gens qu'il restait de plein gré sur les vaisseaux où il faisait bonne chère, qu'il partait pour parler au roi de France, lui conter ce qu'il avait vu au Saguenay et qu'il reviendrait à Stadacone dans dix ou douze lunes.
Cette harangue changea les dispositions des Canadians. Avec la mobilité si particulière à leur race, ils passèrent subitement de la douleur à la joie la plus bruyante.
Un de leurs canouys d'écorce se détacha de la rive, monté par les principaux de la nation, et apporta à Donnacona vingt-quatre colliers d'ésurgny. Jacques Cartier lui donna quelques colifichets que celui-ci envoya à ses femmes et à ses enfants.
Le jour suivant il se fit encore un grand concours de peuple sur le rivage de Sainte-Croix. Jacques Cartier n'était pas sans anxiété. Mais bientôt il vit apparaître quatre des femmes de l'agouhanna dans leur costume d'apparat. Elles montèrent dans un canot qui fut chargé de provisions et dirigé vers la Grande-Hermine.
Le capitaine les reçut de son mieux à bord. Donnacona leur répéta qu'il s'éloignait volontairement et serait de retour dans douze lunes au plus. On embarqua les vivres qu'elles avaient amenés. Les sauvagesses échangèrent avec Cartier quelques menus présents et prirent congé de leur seigneur et maître.
Le 6 mai, au matin, les deux navires sortirent, au bruit du canon, de la rivière Sainte-Croix et ils s'élancèrent vers leur patrie où,—après avoir opéré diverses reconnaissances nouvelles dans le golfe Saint-Laurent et suivi cette fois la route entre Terreneuve et le cap Breton,—ils arrivèrent, le 6 juillet de cette mémorable année 1836.
En abordant à Saint-Malo, Jacques Cartier et Étienne Noël aperçurent dame Catherine et la vieille Manon, s'appuyant l'une au bras de l'autre, et entourées d'une multitude compacte qui se foulait tumultueusement sur la grève pour saluer les hardis navigateurs.
—Où est Constance ? demandèrent les yeux des deux hommes, avant que leurs lèvres eussent prononcé une parole.
Baissant la tête, dame Catherine se prit à pleurer.
CHAPITRE XVIII. LES PORTES-CARTIER.
Hors du département d'Ille-et-Vilaine, qui connaît Limoilou ? Qui jamais a entendu prononcer ce nom d'une saveur exotique si pénétrante ? Personne cependant qui n'ait admiré les bords pittoresques de la Rance, entre Saint-Malo et Dinan, ou ouï décrire leurs beautés comparables seulement aux plus romantiques paysages de la Suisse. Mais Limoilou ? Qu'est-ce que cela ? Nos touristes s'en soucient peu, je vous assure. Limoilou a droit toutefois à de grandes considérations. Aux simples amateurs de jolis sites, je ne crains pas de le recommander. A quelques kilomètres à l'est de Saint-Malo, limité par une lande de roches, de bruyères et d'ajoncs, il est tapi dans une de ces adorables plaines bretonnes qu'aimait tant Souvestre : où l'on trouve les campagnes à luxuriante végétation, les vallées mousseuses, festonnées de chèvrefeuilles, de ronces et de houblon sauvage ; mille nids de verdure d'où sort la fumée d'une chaumière, et toutes ces oasis de fleurs et d'ombrages au milieu desquelles poind l'aiguille brodée d'un clocher de granit ou la tête penchée d'un calvaire.
Pour le voyageur donc Limoilou, tout planté d'arbres fruitiers, tout tapissé par les mains prodigues de la nature, orné de gracieuses villas, est un lieu charmant où il fait bon se reposer. Mais aux yeux des amis des nobles choses du temps passé, ce village a un bien autre mérite :—Seigneur de Limoilou fut le titre que François Ier conféra à Jacques Cartier, en récompense de ses éminents services. C'est là que, revenu dans sa patrie, le capitaine-général
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