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Khadija

Khadija

Titel: Khadija Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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Ta'if
    Khadija sortit du bain, drapée dans un grand voile de lin. Sa lourde chevelure frisée gouttait encore. De la langue, elle cueillit l'eau qui serpentait de ses tempes à ses lèvres. Elle pressa un coin du linge sur ses paupières, s'épongea doucement le cou. La pommade au musc et à la citronnelle dont la masseuse venait d'enduire sa nuque et ses reins lui emplissait les narines. Elle jeta un coup d'œil de dédain en direction de Barrira qui, les bras haut levés, tenait une merveille entre ses mains potelées.
    Un murmure de ravissement courut sur les lèvres des servantes.
    — Voilà ce que tu dois mettre.
    La tunique était d'un bleu de ciel infini. Un vêtement comme peu d'yeux, dans tout le Hedjaz, avaient pu en voir. Le tissu en était si fin qu'il glissait sur la peau, aussi léger qu'un souffle. Il avait été acheté au sud de l'Arabie, sur un marché de Sanaa, à des commerçants qui l'avaient acquis auprès d'hommes des pays proches du lever de soleil. Un prix de folie : le tiers des biens d'une caravane. Les fils de ce tissu, disait-on, ne provenaient d'aucune graine ni d'aucune herbe. Ils sortaient de la gueule de chenilles domestiquées comme des chèvres ou des moutons.
    La coupe de la tunique était simple, avec seulement des plis et des manches plus larges que d'ordinaire. Un plastron de cornaline, d'agates et de minces feuilles d'argent rehaussait l'échancrure du col, en refermant les pans au creux des seins ainsi qu'une cascade de lumière. Sept fils de cuir aux couleurs de l'arc-en-ciel servaient de ceinture. Et là, dans le feu du crépuscule qui pénétrait loin dans la pièce avec la brise du soir, des chatoiements de source miraculeuse ondoyaient sur cette merveille. De seulement la tenir entre ses doigts, les joues de Barrira luisaient d'ivresse. Elle fit danser la tunique dans le soleil.
    — Que la déesse Al'lat me punisse si je mens, Khadjiî ! Porte cette tunique et le puissant Abu Sofyan sera à tes genoux, implora-t-elle.
    De nouveau un murmure fusa des lèvres des servantes. L'excitation se lisait sur leurs visages, mais aussi la prudence. Cinq filles d'à peine vingt ans. Des esclaves achetées à l'âge de l'enfance sur les marchés de Ma'rib ou d'Éthiopie. Depuis longtemps, elles avaient appris tout autant à aimer leur maîtresse qu'à s'en défier. Saïda Khadija bint Kowaylid était capable de caresses et de largesses, mais ses colères étaient aussi imprévisibles que les orages d'automne. D'ailleurs, malgré la splendeur de la tunique, elle ne se déridait pas.
    Ce qui n'impressionnait nullement la vieille Barrira. Elle répéta :
    — Fais-moi confiance, Khadjiî. Enfile cette tunique et Abu Sofyan croira voir une déesse !
    Khadija fut tentée de la gronder. À l'occasion, elle savait trouver des mots aussi tranchants qu'une dague. Mais comme souvent, comme presque toujours, la vieille servante se contenta d'une grimace. Cela faisait tant d'années que Barrira bint Judhaz lui tenait tête. Depuis sa naissance.
    L'histoire était connue. La mère de Khadija l'avait mille fois racontée : il y avait eu un temps où, tout bébé, Khadija ne voulait rien avaler. Elle refusait d'entrouvrir ses lèvres minuscules sur un bout de sein pour téter. Omm Saada, sa mère, pleurait, priait, suppliait. Barrira, jeune esclave capturée au pays de Sham, venait tout juste de perdre le fruit de ses entrailles. Elle avait pris la nouveau-née avec elle et déclaré que leurs vies seraient liées pour l'éternité. Barrira bint Judhaz vivrait avec Khadija bint Khowaylid ou mourrait avec elle. Que les dieux décident.
    Durant presque une lune, l'enfant et la jeune esclave avaient lutté. Jour et nuit, Barrira avait maintenu Khadija liée à sa poitrine par un grand châle. À chaque instant, l'enfant pouvait y téter le lait de vie. Quand elle s'y refusait trop longtemps, Barrira l'y contraignait. Elle forçait l'ouverture de sa bouche et, sans se soucier des cris, des rejets et des aigreurs, y faisait doucement gicler de sa poitrine le sang blanc qui maintenait la petite parmi les vivants.
    Il y avait trente-sept années de cela. Aujourd'hui, Barrira était toujours là, aussi tenace qu'une ombre du désert. Trente-sept années qui l'avaient grossie, flétrie, édentée, sans entamer son obstination et son amour.
    Trente-sept années qui, hélas, n'avaient pas plus épargné le corps de sa maîtresse. Khadija grogna :
    — Crois-tu que j'ai besoin d'une tunique pour que

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