Khadija
allait savoir.
Muhammad arracha l'une des brides des mains de Bilâl, écarta la chamelle de tête de l'une des deux cordées.
— Moi sur la gauche et toi sur la droite !
Le grand Noir sourit. Il brailla :
— Gare aux lames, Petit Maître ! Qu'Hobal te protège.
Sa voix submergea le vacarme. Un frisson parcourut le corps de Muhammad.
La mise en place du combat avait commencé.
Face au soleil, Yâkût divisait ses hommes en trois groupes. Ceux des flancs s'écartaient déjà pour recevoir la charge des cavaliers. Cinq mercenaires, pas plus. Muhammad les admira. Ils possédaient un courage inouï, le goût de la guerre. Ils savaient que la mort, très certainement, allait les prendre avant la nuit, que la douleur allait les faire hurler. Ils n'en montraient rien. Ils avançaient au petit trot, bridant la nervosité de leurs méharis. Ils n'avaient qu'une chance : rendre la course de l'ennemi la plus longue possible, essouffler les chevaux dans des galops de travers, user les nerfs des pillards pour, au dernier instant, les affronter, à un contre trois ou quatre.
En vérité, il aurait été mille fois mieux qu'ils patientent encore. Qu'ils laissent le temps aux chamelles de se mettre en place. Mais lorsque Muhammad avait exposé son plan, quelques jours auparavant, Yâkût avait explosé de fureur et de mépris :
— Me prends-tu pour un homme qui joue avec de vieilles chamelles, Ibn `Abdallâh ?
Il n'en avait plus été question. Muhammad savait quand il devait se taire. Il avait compris qu'il ne faudrait compter que sur Bilâl et lui-même. Mais, après tout, c'était un bien pour un mal. La surprise pouvait valoir bien des sabres.
Maintenant, le sol grondait sous la charge des chevaux. Ils n'étaient plus qu'à une portée de flèches. Sur la fine encolure des montures, on devinait les visages hurlants des pillards entre les bandes flottantes des chèches. À hauteur de leurs hanches, les lames courbes des nimcha étincelaient.
Ils se séparèrent à l'instant où Muhammad et Bilâl parvenaient enfin à mettre leurs chamelles au trot. Il ne fallait pas en attendre plus. Elles étaient trop vieilles, trop molles et trop dolentes pour courir. C'était cela précisément ce qui faisait leur qualité.
Les hurlements de Bilâl recouvrirent les cris des guerriers. Du coin de l'œil, Muhammad vit Yâkût pivoter sur sa selle. Il agita son sabre en braillant de fureur. Une colère et des ordres qui se passaient d'explications.
Bilâl l'ignora superbement. Muhammad aussi. L'un et l'autre obliquèrent plus encore vers la gauche et la droite. Muhammad tira sur la bride de la chamelle de tête. De toutes ses forces il fouetta ses flancs pour qu'elle maintienne son trot.
Qu'Al'lat lui vienne en aide ! Que chaque chose s'accomplisse comme elle le devait ! Qu'Al'lat prenne sa vie ou lui donne raison !
Abu Sofyan
Abdonaï le Perse avait vu juste. Abu Sofyan al Çakhr se présenta à la porte de Khadija à la nuit pleine. Dix hommes porteurs d'autant de torches et de sabres l'escortaient. Se fût-il rendu sous la tente d'un ennemi qu'il n'eût pas été moins entouré.
En qualité de gouverneur de la maison, Abdonaï lui ouvrit la grande porte du mur d'enceinte. Il s'y était préparé. Six serviteurs l'entouraient, trois à droite, trois à gauche. Il salua, s'inclinant aussi bas que nécessaire, le poignet de cuir pressé contre sa poitrine.
Cela plut à Abu Sofyan. Il laissa un sourire naître sur ses lèvres minces. Resplendissant de puissance, jeune et vigoureux, le visage affichant les marques d'un pouvoir acquis de naissance, il portait la barbe finement taillée des sages de Mekka, et ses cheveux longs de puissant du désert étaient noués par un anneau d'argent. Il retira sa cape, la laissa tomber entre les mains du serviteur le plus proche. Il arborait une tenue de cavalier : tunique courte aux couleurs vives, amples chausses de fine laine ocre retenues par un ceinturon de lin qui soulignait la minceur de sa taille et la nervosité de son corps. Incrusté d'étoiles et de lunes de nacre, un large baudrier de cuir lui barrait la poitrine. Sa hanche supportait un étui de dague en argent plus large que la main. Le manche de la lame, sculpté dans la défense d'un éléphant d'Éthiopie, représentait le bond d'un lion du Nefoud.
D'un signe à peine esquissé, Abu Sofyan rendit son salut à Abdonaï. Il observa la cour illuminée par quantité de torches. Selon la tradition, le mur
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