La 25ème Heure
était là, immobile devant la maison. Moritz lui caressa les cheveux.
– Je vais au village, je serai bientôt de retour, lui dit-il. Veux-tu dormir un peu ? Quand tu te réveilleras tu mangeras quelque chose et nous partirons pour la ville.
– Nous ne resterons pas ici ? demanda-t-elle effrayée par l’idée de marcher encore.
– Non, dit-il, viens !
Il la releva en la tenant sous les aisselles et la conduisit derrière la maison, à la grange, où il l’étendit sur le foin.
– Dors maintenant ! dit-il, sinon, tu ne pourras pas aller à pied jusqu’en ville. Il y a bien une vingtaine de kilomètres.
Suzanna lui sourit avec reconnaissance. Il était bon de la laisser dormir et demeurer seule. Elle était brûlante de fièvre. Ses oreilles bourdonnaient. Elle l’entendait à peine.
– Si ma mère vient te chercher noise, laisse-la dire et ne lui réponds pas, dit Iohann Moritz. Elle est en colère.
Iohann partit. En arrivant sur la route, il tourna la tête et la regarda. Il lui sourit. Mais elle avait déjà fermé les yeux.
11
Aristitza était sortie de la chambre sitôt son fils parti. Elle s’était arrêtée et contemplait, les mains sur les hanches, le corps de la femme étendue dans le foin. Suzanna ouvrit les yeux. Elle vit Aristitza, son nez pointu comme un bec d’aigle, ses joues fanées, couleur d’olive, puis elle détourna les yeux. Elle avait peur.
– Je suis la mère de Ion, dit la vieille.
Suzanna fit de la tête comme un geste de salut et de réponse. Puis elle tira sa robe bleue sur ses genoux. La vieille regardait ses genoux et ses hanches comme si elle l’avait vue nue.
– Tu veux te marier, non ? dit la vieille en grimaçant.
– Oui, répondit Suzanna.
– Je crois bien que tu le veux, dit Aristitza. Tu es grosse comme une jument.
Suzanna cacha son visage dans le foin. Aristitza vint tout près d’elle et lui cria à l’oreille :
– Tu ne l’as pas encore trouvé, l’imbécile qui te prendra pour femme, ma toute belle. Personne ne te prendra sans dot. Si tu as couché avec mon fils, ça te regarde. Mais il ne te prendra pas pour femme.
Suzanna se releva, s’appuyant sur les coudes. Elle voulait partir. Mais Aristitza était penchée sur elle.
– Iani est parti ? demanda craintivement Suzanna.
Elle voulait parler d’autre chose.
– Quel Iani ? dit la vieille ébahie. Je ne connais personne ici qui s’appelle Iani.
Suzanna regarda la vieille avec ébahissement. Elle ne savait que dire.
– De quel Iani parles-tu ? demanda de nouveau Aristitza. Tu as perdu tes esprits ? Tu te crois ailleurs.
– Iani, votre fils ! murmura Suzanna à mi-voix, en hésitant.
– Mon fils s’appelle Ion, répondit-elle d’une voix dure. C’est comme ça que moi, sa mère, l’ai baptisé et personne n’a le droit de changer son nom. Tu as compris ?
Suzanna vit le poing d’Aristitza se dresser menaçant.
– J’ai compris, dit-elle. Elle s’était rappelé que Iohann Moritz lui avait recommandé d’être conciliante et ajouta :
– Ion ou Iani, c’est le même nom. Du moins je le croyais.
Son excuse irrita encore plus la vieille.
– C’est toi qui m’apprendras le nom de mon fils ? fit-elle, je te fends la tête. Tu oses. Sale putain !
– Je n’ai pas voulu vous faire de la peine, dit Suzanna.
Les mains de la vieille s’agrippèrent à ses épaules. Elle
se mit à la secouer.
Suzanna criait. Le père apparut de derrière la maison. Il était en chemise de nuit. Il était sorti du lit attiré par les cris. Il avait la cigarette à la bouche. Aristitza lâcha prise et se tourna vers son mari blême de colère.
– As-tu jamais entendu pareille effronterie ? Cette saleté prétend que je ne sais pas le nom de mon fils. Elle me met hors de moi. Aristitza se pencha et prit une pierre. Je lui fendrai la tête ! Je vais l’écraser comme un serpent.
Le vieux la prit par la main.
– Calme-toi, femme ! dit-il en poussant Aristitza vers la porte. Puis il s’approcha de Suzanna, il lui prit la main et la regarda avec pitié.
– Ne pleure plus ! dit-il. Ça n’a pas de sens.
– Où est Iani ? demanda Suzanna.
– Il doit revenir, reste tranquille.
Suzanna se sentait protégée. La main du vieux était grande. Sa peau rugueuse.
– Fillette, je vais te donner un conseil et il serait bon que tu le suives, dit le vieux. Retourne chez tes parents.
Elle pleurait.
– Tu ne peux
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