La 25ème Heure
l’encolure. Il avait huit chevaux. Il en gardait quatre, seulement pour monter et ne les attelait jamais. Ils étaient trop beaux. C’étaient des chevaux noirs, des pur sang arabes aux chevilles fines et nerveuses. C’étaient ses amis. Il leur raconta ce qu’il en était de Suzanna. Il leur racontait tout ce qui lui pesait sur le cœur. Les hommes ne lui inspiraient pas confiance. Les chevaux le regardaient de leurs grands yeux clairs, luisants comme des miroirs.
– Et maintenant, ma femme est en sang, les os rompus, gisant par terre. Les chevaux ne bronchèrent pas. Il prit leur silence pour un reproche et dit :
– Je vais l’emmener à l’hôpital, si vous le voulez !
Une demi-heure plus tard il traversait le village en voiture et se dirigeait vers la ville. Iolanda était enveloppée dans une cape. Elle était étendue entre les coussins, les yeux fixés dans le lointain. Ils arrivèrent trop tôt à l’hôpital. Ils attendirent dans la voiture devant la porte jusqu’à huit heures. Pas un docteur n’était là. Tout en attendant Iorgu Iordan parlait à ses chevaux sans jamais adresser la parole à sa femme, sans lui jeter un seul regard. À huit heures, il prit sa femme dans les bras comme un paquet, avec la couverture et les coussins et l’emmena dans la chambre de consultation. Ils furent reçus les premiers. Tandis que l’infirmière enlevait le manteau de la femme, le docteur vit sa tête enflée, son corps rempli de sang. Iolanda demeura étendue. Elle n’avait que sa chemise de nuit, qui lui collait à la peau. Ce n’était qu’un paquet de sang. La malade se taisait.
– Qui l’a frappée ?
– Cela ne vous regarde pas, répliqua Iorgu Iordan. Soignez-la et ne vous occupez pas du reste. C’est pourquoi vous êtes docteur et c’est pourquoi je l’ai emmenée à l’hôpital.
Iorgu Iordan ne voulut donner aucune autre explication. Le docteur examina Iolanda et la transporta dans la salle d’opération pour une intervention urgente.
– Je vais rentrer chez moi et vous laisser faire votre métier, dit Iorgu Iordan. Il mit son chapeau et se dirigea vers la porte.
– Je paierai ce qu’il faudra. Je peux même vous payer d’avance si vous avez le temps de faire le compte avant de l’opérer ou bien je peux vous laisser un acompte.
Il mit la main à la poche pour en retirer sa bourse.
– Vous ne pouvez pas encore partir, dit le docteur. Attendez un peu.
– Pourquoi attendre ?
Il n’aimait pas qu’on le retienne. Il aurait voulu quitter au plus vite l’hôpital. L’odeur des médicaments lui montait à la tête. Et il avait pitié. Il regrettait d’avoir roué sa femme de coups. " Ça ne suffisait pas que je l’aie foulée aux pieds, ces docteurs vont encore la charcuter ", pensa-t-il. Il avait pitié. Mais il ne voulait pas le laisser paraître. Il ne le voulait pas. Il voulait simplement sortir, respirer. Se remplir les poumons d’air. Un quart d’heure après, un procureur arriva accompagné d’un gendarme, il fit appeler Iorgu Iordan à la chancellerie de l’hôpital et lui fît passer un interrogatoire. Il lui posa un tas de questions. S’il s’appelait bien Iorgu Iordan, l’endroit où il habitait, son âge et si c’était bien lui qui avait frappé sa femme. Iorgu Iordan lui répondit en bougonnant. Son regard était vitreux. Le procureur lui annonça qu’il était arrêté pour voies de fait envers sa femme. Iorgu Iordan ne broncha pas. Mais au moment où le gendarme lui posa la main sur l’épaule pour l’emmener, Iorgu Iordan devint blême.
– Vous m’emmenez en prison ? demanda-t-il.
– En prison, oui.
– Et mes chevaux – mes chevaux qui sont attelés à la voiture, là devant la porte – qu’en faites-vous ?
Le procureur jeta un regard au gendarme.
– Vous n’avez personne pour s’en occuper ?
– Personne, répondit Iorgu Iordan.
– Cédons-les aux pompiers, dit le gendarme. Les pompiers en ont d’autres. Ils se chargeront de ceux-là aussi. À la prison on n’a pas de place pour eux.
Le procureur remercia d’un sourire le gendarme qui l’avait tiré d’affaire. Il n’aurait su qu’en faire, de ces chevaux. Le procureur était arrivé quelques jours auparavant. Il s’appelait George Damian et c’était là sa première cause.
Vers midi, lorsqu’il se préparait à aller déjeuner, il fut averti que Iorgu Iordan avait essayé de se suicider, en se jetant la tête la première sur le ciment de
Weitere Kostenlose Bücher