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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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armées
trimbalent.
    — Voyous, oui…
    — Je lui ai dit que tu allais venir t’installer ici
puisque toi, tu restes à Vienne.
    — Ah…
    — Tu n’es pas d’accord, Henri ?
    — D’accord…
    — On ne peut pas la laisser seule dans cette ville
occupée !
    — On ne peut pas…
    Henri ne trouvait plus ses mots, il se contentait de répéter
en les soulignant des bouts de phrases de son ami.
    — Tu as beaucoup d’affaires ?
    — Des affaires…
    — Henri ? Tu m’écoutes ?
    Anna Krauss souriait franchement. Est-ce qu’elle se moquait
de ce gros jeune homme rougeaud ? Y avait-il une once de tendresse dans
cette moquerie ? Un peu de sympathie ? Aimait-elle Lejeune ? Et
Lejeune ? Ce dernier prit Henri aux épaules et le secoua :
    — Tu es malade ?
    — Malade ?
    — Si tu te voyais !
    — Non non, ça va…
    — Eh bien réponds-moi, bourrique ! As-tu beaucoup
de bagages ?
    — Une grammaire italienne de Veneroni-Gattel, l’ Homère de Bitaubé, Condorcet, la Vie d’Alfieri, deux ou trois vêtements, des
bricoles…
    — Parfait ! Que ton domestique apporte tout ça
demain matin.
    — Mon domestique m’a laissé tomber.
    — Pas d’argent ?
    — Peu d’argent.
    — J’arrangerai ça.
    — Il faut aussi que Daru soit d’accord.
    — Il le sera. Tu acceptes ?
    — Bien sûr, Louis-François…
    Lejeune traduisit cet échange à Anna Krauss, en le résumant,
mais elle en avait saisi l’essentiel et battait des mains comme au concert.
Henri, toujours immobile, décida d’apprendre sérieusement l’allemand, puisqu’il
avait désormais pour cela un vrai motif. Du reste, Anna Krauss s’adressait à
lui dans son baragouin, mais il n’y discernait qu’une mélodie et le sens lui
échappait.
    — Louis-François, que me dit-elle ?
    — Elle nous propose du thé.
     
    Tard dans la soirée, comme Lejeune reçut l’ordre de
retourner aussitôt à Schönbrunn près de Berthier, Henri accepta l’invitation de
Périgord à flâner dans Vienne ; il espérait en fait lui tirer des détails
sur la vie d’Anna, le seul sujet qui depuis l’après-midi lui tenait au cœur.
Lejeune avait donné à son ami l’une des liasses de fausse monnaie offertes par
Daru, aussi put-il inviter Périgord, toujours bavard, mais qui connaissait la
ville et ses habitants pour y avoir autrefois séjourné, et ils partirent dans
les jardins du café Hugelmann, au bord du Danube et de ses ponts brûlés. Il n’y
avait pas de baigneurs malgré un temps chaud, pas de chalands, pas de marins
turcs, mais là encore des soldats. « En période normale, disait Périgord,
des voiliers très bariolés vous promènent sur le fleuve, mais ils ont dû être
réquisitionnés par nos hommes ou coulés par les Autrichiens. » Henri s’en
moquait, comme de ce joueur de billard hongrois, très célèbre, qu’on venait
applaudir et qui continuait à exercer pendant les hostilités ; il pouvait
frapper des heures sur sa bille sans perdre un point, et cela finit par lasser
nos deux Français ; ils choisirent d’aller vers le Prater tout proche,
dans le faubourg Léopold.
    Périgord avait une pelisse à tresses dorées, des culottes
noires dans des bottes à revers, et pour s’épargner les ricanements, il avait
prêté un cheval décent à Henri. En Espagne, récemment, on lui avait dérobé
plusieurs chevaux de prix, aussi avait-il confié la garde de leurs montures,
tandis qu’ils grignotaient des écrevisses, à un très jeune soldat de passage.
Docile, le garçon les attendait.
    — Bravissimo ! lui dit Périgord. Ton nom ?
    — Voltigeur Paradis, Monsieur, 2 e de ligne,
3 e  division du général Molitor sous les ordres du maréchal
Masséna !
    Périgord glissa quelques florins dans la vareuse du
voltigeur et demanda à Henri, qui avait l’air pensif ou distrait, comme accablé
de soucis :
    — Mon domestique prendra vos affaires demain, Beyle, ne
vous inquiétez pas.
    — Vous connaissez Anna Krauss ?
    — Je loge chez elle depuis trois jours, non, deux,
enfin, curieux comme je suis et diaphane comme elle est…
    — Sa famille ?
    — Le père est musicien. C’est un proche de Monsieur
Haydn.
    — Où est-il ?
    — Il a suivi la cour de François d’Autriche réfugiée
quelque part en Bohême, dit-on, mais en est-on certain ?
    — Sa mère ?
    — Je crois savoir qu’elle est morte. L’air n’arrivait
plus à ses poumons.
    — Mademoiselle Krauss est donc

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