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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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restée seule à
Vienne ?
    — Avec ses sœurs plus jeunes et sa gouvernante plus
vieille.
    — Son père l’a abandonnée en pleine guerre !
    — Mon cher, les Viennois ne prennent rien au sérieux.
Tenez : comme ils trouvent que le lundi est triste et gâche le dimanche,
ils ont transformé le lundi en jour chômé. Pas mal, n’est-ce pas, dans le
désinvolte ?
    — Vous croyez que Lejeune en est amoureux ?
    — Des Viennois ?
    — Mais non ! de cette jeune fille.
    — Je l’ignore mais les symptômes ne trompent guère,
fébrilité, inquiétude, demi-pâmoison. À vous aussi, au fait, elle donne des
palpitations.
    — Je ne vous permets pas, Monsieur…
    — Turlututu ! Vous n’y pouvez rien et moi non
plus, mais la bataille promet d’être plus jolie entre vous deux qu’entre nous
autres et les troupes de l’archiduc Charles ! Voyez-vous, ce que je n’aime
pas, mais pas du tout, dans les guerres, c’est la saleté, la mauvaise tenue, la
poussière, la grossièreté, les vilaines blessures. En revenir entier, ah
oui ! Cela permet de briller dans les bals, de danser avec les fausses
duchesses ou de vraies banquières…
    Ils arrivaient sur les allées de sable du Prater. Les grands
arbres avaient été abattus pour des barricades dérisoires. Sur les pelouses,
des pavillons, des maisonnettes, des cabanes, un kiosque chinois, un chalet
suisse, des huttes de sauvages, un capharnaüm créé pour le divertissement que
fréquentait d’habitude une population mélangée venue de la planète ; les
Viennois et les Viennoises y côtoyaient des Bohémiens, des Égyptiens, des
Cosaques, des Grecs ; l’empereur François venait souvent s’y promener à
pied et sans escorte, saluant ses sujets du chapeau, comme un bourgeois. Le
soir, avec l’été, les insectes vous assaillaient par nuages et Périgord en
plaisantait : « Un Allemand m’a expliqué naguère que sans ces
insectes, l’amour ferait par ici trop de ravages ! »
    Ils s’attardèrent devant une roulotte qui offrait un
spectacle curieux où les rôles se partageaient entre des marionnettes et des
nains, en face d’un parterre de soldats français et alliés dont la plupart ne
comprenaient pas le texte mais s’amusaient à discerner les acteurs, ceux de
chair et ceux de bois.
    — Que jouent-ils ? demanda Henri.
    — Du Shakespeare, mon cher. Voyez le minuscule avec sa
fausse barbe et la couronne de carton, il en est au fameux monologue :
« Qu’est-ce que je crains ? Moi-même ? (Périgord récita en
jouant la scène :) Je suis seul ? Richard aime Richard.
Voilà : je suis moi. Y a-t-il un assassin par ici ? Non. Si :
moi. Alors va-t’en ! Me fuir moi-même ? si je me vengeais sur
moi-même ? Hélas, je m’aime. Pour tout le bien que je me suis fait ?
Oh non, je me hais pour les horreurs que j’ai commises ! »
    — Et moi, soupirait Henri, je me hais de ne pas savoir
l’allemand !
    — Rassurez-vous, mon cher Beyle, je le bredouille, mais
le titre de la pièce est inscrit sur ce panneau et je connais Richard III par cœur.
    Sur l’estrade, les nains et les marionnettes se démenaient
autour d’un trône en bois peint. Périgord ajouta :
    — Acte V, scène 3.
     
    À Schönbrunn, dans le salon des Laques où des fleurs et des
oiseaux dorés couraient sur les murs, Napoléon puisait dans sa tabatière
d’écaille et se bourrait le nez. En robe de chambre de molleton blanc, un
madras enroulé sur la tête comme un fichu des Antilles, il étudiait des cartes.
Les épingles, par les couleurs, indiquaient la position actuelle des troupes,
celle des magasins de vivres, de fourrage ou de chaussures, le parc
d’artillerie…
    — Monsieur Constant !
    Le premier valet de chambre accourut, grand, la paupière
lourde, sans bruit comme s’il glissait. L’Empereur montra son verre et le
serviteur y versa du chambertin coupé d’eau.
    — Mon poulet, Monsieur Constant.
    — À l’instant, Sire.
    —  Pronto  !
    — Sire…
    — Ce diable de Roustan a encore mangé mon poulet comme
l’autre nuit ?
    — Non Sire, non, le poulet est bien fermé dans sa
panière d’osier et j’ai la clé du cadenas…
    — Alors ?
    — Sire, le prince de Neuchâtel, Son Excellence le major
général…
    — Simplifiez, Monsieur Constant ! Dites Berthier.
    — Il attend, Sire…
    —  Io lo so, je l’ai fait appeler. Qu’il entre,
ce butor, et mon poulet aussi !
    Impeccable dans son grand uniforme

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