Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
d’apparat, suivi par Lejeune,
le major général Berthier entra dans le bureau et posa son bicorne sur un
guéridon. L’Empereur leur tournait le dos et ils durent écouter sans bouger son
monologue :
    — La flotte anglaise mouille au large de Naples, le
Tyrol se rebelle, le prince Eugène a des difficultés dans son royaume d’Italie
et le pape devient indocile. Le meilleur de notre armée s’épuise en Espagne.
Est-ce que je vais pouvoir longtemps compter sur la neutralité du tsar ?
Les Anglais financent partout des révoltes. En France, les esprits frondent et
la censure ne contient plus les impertinences. Talleyrand et Fouché, si
précieux hélas, ont intrigué pour me remplacer par ce pantin de Murat, mais je
les tiens comme tous les autres par la peur et par l’intérêt ! Les fonds
publics baissent, les désertions se multiplient, mes gendarmes enchaînent les
conscrits pour les mener aux casernes et aux camps. Nous manquons de
sous-officiers, il faut les cueillir aux portes des lycées…
    L’Empereur arrache un pilon du poulet que Constant vient de
poser sur une table noire. Il mord dedans, se graisse le menton et
grogne :
    — Qu’est-ce que vous pensez de ce tableau
sinistre ?
    — Qu’il est malheureusement exact, Votre Majesté, dit
Berthier.
    — Eh foutre, je le sais trop ! J’ai dû rechercher
ce rapace de Masséna, et contraindre Lannes, qui espérait se reposer dans ses
châteaux ! Venga qui  !
    Avec l’os du poulet, Napoléon pointe l’île Lobau sur sa
grande carte :
    — Dans trois jours on s’installe dans cette saleté
d’île. Le pont ?
    — Il sera jeté sur le Danube, répond Lejeune, puisque
vous l’avez décidé.
    —  Bene  ! Vendredi, les voltigeurs de
Molitor y débarquent, la nettoient des quelques crétins d’Autrichiens qui y
bivouaquent encore. Prévoyez assez de barques. Pendant ce temps, avec le
matériel que vous aurez acheminé à Bredorf…
    — Ebersdorf, Sire, corrige Berthier.
    — Occupez-vous de vos fesses ! Je vous ai demandé
votre avis ? Qu’est-ce que je disais ?
    — Vous parliez du matériel, Sire.
    —  Si  ! On lance immédiatement le pont
flottant sur le grand bras du fleuve, pour relier Lobau à notre rive. Les
cavaliers de Lasalle renforcent tout de suite les hommes de Molitor qui, eux,
passent sur la rive gauche et occupent les deux villages.
    — Essling et Aspern.
    — Si ça vous chante, Berthier ! Samedi soir, le
grand pont, et l’autre qui va conduire de l’île à la rive gauche, doivent être
établis et solides.
    — Ce sera fait, Sire.
    — Le dimanche à l’aube nos troupes s’implantent dans
vos foutus villages de je ne sais plus quoi, s’y retranchent et attendent.
L’Archiduc nous aperçoit. Il se réveille. Il me croit idiot d’acculer mes
troupes au fleuve. Il attaque. Masséna le reçoit au canon. Avec Lannes, Lasalle
et Espagne, vous chargez, Berthier, pour enfoncer le centre autrichien et
couper leur armée en deux. Alors Davout passe le grand pont avec ses réserves,
il renforce vos attaques et nous écrabouillons ces coglioni  !
    — Qu’il en soit ainsi, Votre Majesté.
    — Il en sera ainsi. Je le vois et je le veux. Vous
n’approuvez pas, Lejeune ?
    — Je vous écoute, Sire, et à vous écouter j’apprends.
    L’Empereur lui donna une forte claque sur la joue, pour
signifier qu’il était content de la réponse sans en être vraiment dupe. Il
détestait la familiarité et les avis, ne voulait de ses officiers comme de ses
courtisans qu’une obéissance muette. Lannes, Augereau, voilà bien les seuls qui
osaient lui parler net. Sinon, il s’était façonné une cour de faux princes et
de ducs inventés, compromis, grossiers, cauteleux : il n’en exigeait que
des courbettes qu’il récompensait en châteaux, en titres et en or. Constant
s’agitait d’un pied sur l’autre devant la porte du salon, ce que Napoléon finit
par remarquer. Il dit en bougonnant :
    — Quelle est cette nouvelle danse, Monsieur
Constant ?
    — Sire, Mademoiselle Krauss est arrivée…
    — Qu’elle se déshabille et qu’elle m’attende.
    À ce nom, Lejeune pensa défaillir. Quoi ? Anna était à
Schönbrunn ? Elle allait passer la nuit dans le lit de l’Empereur ?
Non. Ce n’était pas pensable. Cela ne lui ressemblait pas. Lejeune regardait
son souverain qui terminait le poulet puis s’essuyait les doigts et la bouche
au rideau. Que pouvait faire Lejeune ? Rien. Lorsque

Weitere Kostenlose Bücher