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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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avaient formé les faisceaux.
    — Qu’est-ce qu’ils attendent ! criait l’Empereur.
    — La soupe, dit Berthier, l’œil dans sa lunette
d’approche.
    Lannes bougonnait :
    — Ce n’est qu’une arrière-garde, Sire, allons les
culbuter !
    — Mes cavaliers, continuait Bessières, n’ont rien
rencontré sur des lieues.
    — Non, répétait Masséna, l’armée autrichienne est là,
tout près.
    — Soixante mille hommes au moins, disait Berthier, si
mes renseignements sont exacts.
    — Tes renseignements ! Lannes grondait : Ils
t’ont raconté des fadaises, les prisonniers ! Ils étaient sacrifiés sur
cette fichue île, qu’est-ce qu’ils savent des intentions de l’archiduc
Charles ?
    — Des francs-tireurs ont égorgé cette nuit l’un de mes
hommes, lâcha Espagne d’une voix atone.
    — C’est ça, reprit Lannes, des francs-tireurs, des
maraudeurs, et le gros des régiments reste au chaud en Bohême !
    — Sans doute, ajouta Bessières, attendent-ils le
renfort de leur armée d’Italie…
    —  Basta  !
    L’Empereur avait crié avec agacement. Il était fatigué de
les entendre jacasser. Il n’avait aucun besoin de leurs avis. De la main, il
fit un petit signe à Berthier puis s’éloigna en compagnie de son écuyer
Caulaincourt, du jeune comte Anatole de Montesquiou, son ordonnance au visage
mou, des inévitables mameluks ramenés d’Égypte qui jouaient les importants,
avec des turbans à aigrettes, des pantalons turcs écarlates, leurs poignards de
luxe passés à la ceinture. Berthier prit alors la parole d’une voix forte, sans
même regarder les maréchaux :
    — Sa Majesté a imaginé un dispositif que vous allez
mettre en œuvre à l’instant. Il ne doit compter aucune faille. Nous nous
trouvons le dos au fleuve, d’où arriveront des troupes fraîches, le
ravitaillement, les munitions. Il s’agit d’opposer à l’ennemi une ligne
continue d’un village à l’autre. Masséna tiendra Aspern, avec Molitor, Legrand
et Carra-Saint-Cyr. Lannes occupera Essling avec les divisions Boudet et
Saint-Hilaire. Entre les villages, il faut barrer le terrain dégarni : les
cuirassiers d’Espagne et la cavalerie légère de Lasalle s’y déploieront sous le
commandement de Bessières. Allez !
    Il n’y avait pas à discuter. Le groupe se défit et chacun
alla rejoindre le poste prévu. Songeur, Berthier prit le chemin de son
campement. Lejeune et Périgord l’encadraient. Le major général demanda :
    — Qu’en pensez-vous, Lejeune ?
    — Rien, Monseigneur, rien.
    — En vérité.
    — Cet éclairage me donne envie de peindre.
    — Et vous, Périgord ?
    — Moi ? J’obéis.
    — Nous en sommes tous réduits à obéir, mes enfants,
soupira Berthier.
    Ils traversèrent l’un derrière l’autre le petit pont qui
dansait dans le courant. Sur l’île, Périgord mit son cheval à la hauteur de
celui de Lejeune et souffla sur un ton de confidence :
    — Il est bien sombre, notre major général.
    — Ce doit être l’incertitude. L’Empereur semble choisir
la défensive, on se retranche, on attend. Les Autrichiens vont-ils
attaquer ? L’Empereur le croit. Il doit avoir ses raisons.
    — Seigneur ! dit Périgord en levant les yeux au
ciel, pourvu qu’il sache où il nous mène ! Tout de même, cher ami, nous
serions mieux à Paris, ou à Vienne, et notre major général dans ses terres avec
ses deux femmes ! Tenez : je suis certain qu’il pense à la Visconti…
    Lejeune ne répondit pas. Tout le monde savait que Berthier
menait un ménage à trois et qu’il en éprouvait des tourments. Depuis treize
ans, il était amoureux fou d’une Milanaise aux yeux gris, hélas mariée au
marquis Visconti, un brave diplomate âgé et très discret, peu ému par les
incessantes infidélités de sa trop belle et trop chaude épouse. Quand Berthier
s’était résolu à suivre Bonaparte en Égypte, en quittant sa maîtresse, ce fut
dans les déchirements. Au milieu du désert, sous la tente, il avait dressé une
sorte d’autel à sa Giuseppa, il lui écrivait sans cesse des lettres éperdues et
salaces. Et cela dura. À la longue, Napoléon trouva cette interminable passion
ridicule. Nommé prince de Neuchâtel, Berthier avait alors été contraint de
choisir une vraie princesse pour fonder un semblant de dynastie. Docile,
malheureux, entre deux larmes il se décida pour Élisabeth de Bavière qui avait
le museau pointu et pas de menton : Giuseppa

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