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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Visconti n’en serait pas
jalouse. Et que se passa-t-il, deux semaines après cette cérémonie obligatoire ?
Le marquis mourut dans son lit et Berthier ne pouvait plus épouser sa veuve. Il
en avait été secoué de fièvres, au bord de la crise nerveuse, il avait fallu le
consoler, le soutenir, le récompenser, même si ses deux femmes se supportaient,
se fréquentaient et jouaient ensemble au whist. Ce dimanche 21 mai 1809,
alors qu’on attendait le feu des canons autrichiens, voilà pourquoi Berthier
soupirait.
     
    Le maréchal Bessières soupirait pour des motifs semblables
mais secrets. Froid, d’une politesse rare, peu loquace, sans émotions
apparentes, insoupçonnable du moindre écart amoureux, il avait su se ménager
une double vie à l’abri des potins. Aussi portait-il deux médaillons sous sa
veste bleu et or. L’un évoquait sa femme Marie-Jeanne, pieuse, très douce et
considérée à la cour ; l’autre figurait son amante, une danseuse de
l’Opéra pour laquelle il dépensait des millions, Virginie Oreille, dite
Letellier.
    Sous ses allures d’Ancien Régime, avec ses cheveux longs et
poudrés qu’il ramenait aux tempes en ailes de corbeau, Bessières ne laissait
jamais rien paraître des pensées peu militaires qui l’occupaient souvent. Quand
il entra pour la première fois dans Essling à côté du général Espagne, il leva
d’abord les yeux sur le clocher. Quelle Pentecôte ! Ce n’était pas le Saint-Esprit
qui allait aujourd’hui leur tomber sur la tête, mais d’autres langues de feu,
les obus et les boulets de l’Archiduc. Sur la place, les chevaux déjà sellés
mangeaient de l’orge répandue en tas. Les cavaliers s’aidaient mutuellement à
fermer leurs cuirasses, quelques-uns nettoyaient leurs armes avec des rideaux
arrachés aux fenêtres.
    — Espagne, allez informer vos officiers des vœux de Sa
Majesté, dit Bessières en descendant de cheval.
    Puis il marcha pensif vers l’église où il entra. Le chœur
avait été transformé en camp et deux prie-Dieu achevaient de se consumer devant
l’autel dépouillé de ses ornements. Bessières resta debout devant le crucifix
qu’on avait essayé de desceller, il baissa la tête, fouilla dans sa veste et
regarda les médaillons qui représentaient ses chéries, l’une dans chaque paume.
Marie-Jeanne devait être à la messe, dans la chapelle de leur château de
Grignon ; Virginie, à cette heure, dormait dans le grand appartement qu’il
lui avait acheté près du Palais-Royal. Et lui, que faisait-il donc dans cette
église autrichienne à moitié cassée ? Il était maréchal d’Empire, il avait
quarante-trois ans. Jusqu’à présent les circonstances l’avaient servi. Tant de
chemin couru en si peu de temps ! Très jeune, dans la garde de Louis XVI,
il avait tenté de protéger la famille royale pendant l’émeute du 10 août.
Il n’avait jamais approuvé la vulgarité de la Révolution ni l’asservissement
des prêtres. Un moment suspect, il avait dû se cacher à la campagne chez le duc
de la Rochefoucauld avant de gagner l’armée des Pyrénées puis celle d’Italie,
dans l’entourage de ce Bonaparte dont il aida le coup d’État, et pour lequel il
inventa un corps de prétoriens qui allait devenir la Garde impériale… Dans une
heure il serait à cheval. Les soldats l’aimaient. Les ennemis aussi, comme ces
moines de Saragosse qu’il avait protégés de ses propres régiments. Était-il né
pour commander ? Bessières n’en savait plus rien.
    Dehors, Espagne était déjà entré en action. Il distribuait
ses ordres, activait les préparatifs, inspectait les chevaux et les armes. Il
remarqua que des cuirassiers creusaient une tombe sous les ormes, au bout de la
rue principale, et il envoya un capitaine pour expédier cet enterrement au plus
tôt. Le capitaine Saint-Didier y alla à pied, sans véritable empressement.
    Trois cuirassiers, avec des pelles volées dans une remise,
achevaient leur trou. Dans l’herbe, le soldat Pacotte était blanc et raide.
    — On se dépêche, les gars, dit le capitaine
Saint-Didier.
    — Faut c’qui faut, mon capitaine, dit seulement Fayolle
en plantant sa pelle dans la terre qui montait autour de la fosse.
    — Nous quittons ce maudit village !
    — On enterre not’frère, mon capitaine, dit encore
Fayolle, pour pas qu’les renards le grignotent.
    — On a des principes, ajouta l’un des cuirassiers, un
costaud de forgeron qui s’appelait

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