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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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flottant. Arrivant à la maison
badigeonnée en rose de la Jordangasse, Staps rencontra des hommes torse nu,
bonnet de police sur la tête, qui déchargeaient un fourgon bâché de
l’intendance. Sans poser une question, il en suivit deux ; ils suaient en
portant une grosse panière vers les cuisines de l’étage, où il pénétra à leur
suite. Des poulets, des flacons, des pains ronds, des légumes s’entassaient sur
la longue table brune. Les sœurs Krauss et leur gouvernante plumaient,
coupaient, épluchaient, lavaient, tandis qu’Henri Beyle, malgré sa mauvaise
mine, revenait de la pompe avec deux seaux d’eau que Staps lui prit des
mains :
    — Reposez-vous, vous êtes malade.
    — Bien aimable, Monsieur Staps.
    Puis, montrant les victuailles d’un geste du bras, Henri
expliqua :
    — Mes collègues de l’intendance, vous voyez, s’occupent
aussi de ma santé.
    — Et de celles de ces demoiselles.
    Henri regarda Staps, son air angélique, son sourire
ambigu ; ce garçon trop poli le gênait. On pouvait donner un double sens à
chacune de ses paroles. Fallait-il s’en méfier ? Pourquoi ? Henri
oublia ses soupçons en entendant Anna Krauss qui plaisantait avec ses jeunes
sœurs, sans qu’il comprît à propos de quoi ou de qui. Bientôt Staps se mêla à
la conversation, en allemand, ce qui acheva de le rendre odieux à Henri, en
bout de table, qui assistait à leurs rires sans pouvoir y prendre sa part. Il
pâlit et serra les dents, essaya de se lever, eut un malaise, un frisson.
Soudain inquiète, Anna se dépêcha de le soutenir. Comme elle lui donnait le
bras, et qu’il sentait sa chaleur contre lui, Henri se mit à rougir comme une
tomate.
    — Il reprend des couleurs ! s’écria Friedrich
Staps en français.
    Henri aurait voulu le mordre, ce petit imbécile.
     
    La veste ouverte et le bas du pantalon retroussé sur des
galoches boueuses, Vincent Paradis ne ressemblait plus à un voltigeur et pas
encore à un éclaireur ; on aurait dit un civil déguisé. L’ordonnance du
colonel Lejeune avait dû le secouer pour qu’il se réveille. Il bâillait, il
s’étirait devant le Danube jaune, un fleuve comme il n’en avait jamais vu,
large comme un bras de mer et instable comme un torrent, avec des caprices, des
violences subites. Le soleil commençait à frapper et Paradis ramassa son shako,
le mit, ajusta la jugulaire de cuir doré sous son menton. Qui donc avait
inventé des chapeaux aussi hauts ? Protégé par un officier de l’état-major
général, il se croyait à l’abri sur l’île Lobau, et il s’amusait du
remue-ménage qu’il distinguait au loin sur l’autre rive, vers les maisons
tassées et les fermes d’Ebersdorf. Puis il entendit une musique. Précédant les
troupes qui s’engageaient maintenant sur le grand pont cahoteux, les
clarinettes de la Garde impériale jouaient une marche de Cherubini composée
pour elles. Derrière venaient les drapeaux à losanges tricolores montés d’une
aigle aux ailes déployées, ensuite les grenadiers impeccables. Personne ne les
supportait dans l’armée, ceux-là. Ils avaient tous les droits et le montraient.
L’Empereur les choyait, ils en étaient arrogants. Ils ne montaient en première
ligne qu’à la fin des batailles pour parader entre les cadavres d’hommes et de
chevaux, ils mangeaient dans des gamelles personnelles, voyageaient le plus
souvent dans des voitures garnies de paille, ou en fiacre, pour ne pas
s’abîmer. À Schönbrunn, où ils avaient campé, l’intendance leur avait offert
des chaudières de vin sucré. Ils portaient comme l’Empereur des culottes de
Casimir sous leurs guêtres de toile blanche. Dorsenne, leur chef, élégant à
l’excès, cheveux noirs frisés au fer et visage hautain d’un habitué des salons,
vérifiait les boutons des uniformes, les faux plis, la propreté des baïonnettes
sur lesquelles il passait un doigt ganté.
    Les grenadiers de la Garde approchaient sur trois rangs, en
traversant cet interminable pont de planches qui reposait sur des bateaux de
tailles et de formes inégales que le courant balançait. Au fur et à mesure de
leur marche lente et scandée, ils jetaient leurs bicornes qu’emportaient les
eaux, et chacun dénouait sur le sac de qui le précédait ce fameux bonnet en
fourrure d’ours, enfermé dans un étui, avant de s’en coiffer.
    — Quel spectacle ! dit l’ordonnance de Lejeune qui
assistait à la scène derrière Paradis.
    — Oui mon

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