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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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catastrophe de l’autre côté. Le grand pont flottant
était ouvert en son milieu et les vagues fortes qui s’engouffraient dans cette
brèche continuaient à arracher des poutres. Les amarres claquaient les unes
après les autres, trop tendues, et une partie de l’ouvrage risquait de dériver,
malgré les tentatives des pontonniers et des sapeurs requis ; avec des
perches, des gaffes, des haches, des manches de pioches ils tentaient de
repousser ces barques lestées de gravats que les Autrichiens lançaient dans le
courant. L’une de ces embarcations avait été échouée sur la berge de l’île et
Lejeune l’examina. C’était une petite barque triangulaire et profonde, qu’on
avait remplie de grosses caillasses ; à cause de sa forme, elle naviguait
en tournoyant et cognait à grande vitesse, de tous ses angles, les bateaux
enchaînés qui tenaient le grand pont à la surface du Danube. Quelle
folie ! pensait Lejeune, de jeter à la hâte un pont flottant sur un fleuve
en crue. Voilà que l’ennemi en profitait, avec raison ; c’était facile. Il
pestait contre l’ouvrage bâclé faute de temps, mais n’aurait jamais osé le dire
à quiconque. Il aurait fallu attendre que le Danube s’apaise et retrouve son
cours, deux semaines, un mois tout au plus, et planter un pont solide avec des
bois fichés dans les fonds. Ces spéculations ne servaient à rien. Il devait
conduire les travaux de réparation, trouver le moyen d’éparpiller sur les rives
les barques, les troncs d’arbres qu’envoyaient les Autrichiens pour détruire ce
pont fragile.
    Avec une certaine lassitude, Lejeune se débarrassa des
ornements de son uniforme qui risquaient de le gêner ; il les laissa
tomber dans l’herbe, le sabre, le shako, la sabretache. Il avisa un officier du
génie qui s’évertuait à contrer l’une de ces terribles barques triangulaires,
avec dix hommes qui tenaient un madrier épais pour la tamponner, attendant le
choc. La barque rapide heurta cette espèce de bélier improvisé, les hommes
lâchèrent prise, quatre d’entre eux valsèrent dans les eaux en tumulte mais
réussirent à s’accrocher aux poteaux et aux pontons encore à l’attache, en se
cognant, en criant, en avalant les flots boueux, mais le projectile dériva et
versa contre l’île.
    — Capitaine !
    L’officier du génie, trempé, moustache dégoulinante, prit la
main que Lejeune lui tendait et se hissa sur le pont. Il ne demanda rien et se
mit aux ordres de l’envoyé de l’état-major en pantalon rouge. Cela le
soulageait.
    — Capitaine, combien de nos barques de soutènement
ont-elles été emportées ?
    — Une dizaine, mon colonel, et pas moyen d’en dénicher
d’autres.
    — Je le sais. Fabriquons des radeaux.
    — Ouh là ! ça va prendre des heures !
    — Vous avez une autre solution ?
    — Non.
    — Rameutez vos hommes.
    — Tous ?
    — Tous. Ils vont couper ces arbres, les préparer, les
rassembler, les clouer avec des planches, les encorder, comme il vous plaira,
mais nous devons obtenir au plus vite des radeaux, autant que de barques
coulées.
    — D’accord.
    — Regardez, les planches du tablier ne sont pas toutes
allées se perdre, d’ici j’en vois qui ont été poussées sur l’île. Qu’on aille
les chercher.
    — Il n’y en a pas tant…
    — C’est déjà ça ! Rétablissons la liaison avec la
rive droite à tout prix, et vite !
    — Vite, vite, mon colonel…
    — Capitaine, dit Lejeune en gardant son calme, les
Autrichiens vont attaquer d’un moment à l’autre. J’espère que vers Ebersdorf,
en face, ils le savent et ils agissent.
     
    Les soldats de Molitor se serraient dans un long chemin
creux qui reliait l’arrière d’Aspern à l’un des nombreux bras morts du Danube.
Ils avaient chargé leurs fusils et attendaient un peu comme dans une tranchée,
à l’abri de ce parapet naturel couronné de broussailles. Ils se croyaient en
réserve puisque les Autrichiens marchaient dans la plaine, en face des
villages, et qu’ils se heurteraient d’abord à la cavalerie ou aux canons de
Masséna. Inquiets, mais certains de ne pas avoir à subir le premier choc,
quelques-uns écoutaient pour se distraire les récits de l’adjudant Roussillon,
qu’ils savaient pourtant par cœur ; il s’était battu partout, et d’avoir
survécu le comblait de fierté, alors, pour la énième fois il racontait ses
blessures ou des horreurs à vous hérisser le poil, comment, par

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