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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Majesté…
    — Oui ?
    — Ce que vous avez constaté.
    Lejeune lança son cheval au grand galop et descendit la rue
principale. Boudet le regardait s’éloigner en grommelant :
    — Vous direz à Sa Majesté que je l’emmerde…
    Il convoqua ses officiers, ordonna aux tambours de battre la
retraite immédiate. À cette musique, des voltigeurs sortirent de leurs postes,
de l’église, des maisons, de derrière les remblais, et ils se rassemblèrent en
une troupe confuse. La canonnade devenait sérieuse.
    Quinze cents hommes s’établirent ainsi dans le grenier pour
y supporter un siège. Des fusils pointèrent aux lucarnes, aux fenêtres à moitié
obstruées par les volets. Les portes s’entrebâillèrent pour laisser passer la
gueule des canons hissés pendant la matinée dans les salles du rez-de-chaussée.
Une escouade de fantassins prit position alentour, dans les fossés herbeux, les
plis du terrain, derrière les ormes. Le village flambait, les barricades
devaient être déjà défoncées par les boulets. On n’attendit guère. Une
demi-heure était à peine passée que les premiers uniformes blancs surgirent au
bout de l’allée et dans les champs voisins, et ils couraient, pliés en deux
sous leurs sacs. Boudet reconnut le fanion des grenadiers du baron d’Aspre. Il
commanda le feu. L’artillerie mit en débandade la première vague d’assaut, mais
il en venait de partout, en rangs serrés, nombreux, on n’avait pas même le
temps de rentrer les canons brûlants pour les recharger, on tiraillait de
chaque fenêtre, derrière les grillages, aux lucarnes ; les Autrichiens
tombaient, d’autres les remplaçaient, qui se heurtaient aux murs solides du grenier.
Boudet prit un fusil et coucha un officier à manteau gris qui braillait en
levant son sabre courbe, l’homme s’effondra, mais rien n’arrêtait les soldats
blancs, certains s’approchaient le long des murs, ils portaient des haches
qu’ils plantaient dans les volets et les portes refermées. À l’intérieur les
soldats toussaient à cause de la fumée et du manque d’air. Quelques voltigeurs
furent blessés par ricochet. Ils s’accroupissaient, rechargeaient,
jaillissaient à une fenêtre, épaulaient, visaient au jugé dans cette masse
comme dans un vol d’étourneaux ; ils en tuaient à l’évidence mais ne le
voyaient pas, se baissaient à nouveau, chargeaient, se levaient, tiraient,
s’abritaient et ainsi de suite durant une éternité.
    À la longue les combats s’émoussèrent. Du troisième étage,
dans l’entrebâillement d’un volet de tôle, Boudet remarqua que les vagues
autrichiennes s’espaçaient. Il fit cesser le tir et chacun entendit rouler des
tambours familiers. Boudet sourit, il secoua un jeune soldat tout pâle et rugit
avec son accent bordelais :
    — Garçons ! On va encore s’en sortir !
    Soulagés, ils ouvrirent les fenêtres pour y passer le nez.
Ils aperçurent les plumets verts et rouges des fusiliers de la Jeune Garde. Les
uhlans jetaient leurs lances pour saisir le sabre plus propice au corps à
corps. La bataille se déplaçait dans le village. Boudet sortit, un fusil à la
main, quand un officier empanaché déboucha devant le grenier parmi une
cavalcade :
    — Monsieur, le général Mouton et quatre bataillons de
la Garde impériale nettoient Essling.
    — Merci.
    À pied, entre des flaques de sang et sur un chemin parsemé
de corps, Boudet remonta vers l’église abîmée. Des cris abominables montaient
du cimetière. Il interrogea. Un lieutenant de la Garde lui répondit que
c’étaient des Hongrois qu’on égorgeait à l’arme blanche sur les tombes :
    — On ne peut plus s’embarrasser de prisonniers.
    — Mais il y en a combien ?
    — Sept cents, mon général.
     
    De part et d’autre les munitions s’épuisaient. En
s’apaisant, les tirs donnaient une fausse impression d’accalmie, car les
accrochages restaient nombreux et meurtriers, au sabre, à la baïonnette, à la
lance, mais ils avaient moins de vigueur ; on tiraillait pour entretenir
la bataille, on attaquait avec une certaine mollesse, comme pour se défendre ou
maintenir la ligne du front. Les grenadiers qui entouraient Lannes n’avaient
plus de cartouches. Le maréchal se sentait trahi par la crue du fleuve ;
il se promenait à pied avec son ami Pouzet, dans un vallon en contrebas de la
plaine ; des barrières d’enclos les protégeaient d’éventuelles incursions
de la cavalerie autrichienne

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