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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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réclamait.
    — Larrey, voyez aussi la plaie de Marbot…
    — Oui, Votre Excellence.
    — Ce garçon a été mal soigné et je m’inquiète.
    — Je vais m’en occuper, Votre Excellence.
    Après avoir examiné ensemble les blessures du maréchal
Lannes, les trois médecins s’écartèrent pour établir leur diagnostic et comment
il convenait de traiter ce cas :
    — On sent à peine son pouls.
    — L’articulation du genou droit, notez-le, n’est pas
atteinte.
    — Mais la gauche est fracassée jusqu’à l’os…
    — Et l’artère est rompue.
    — Messieurs, dit Larrey, je suis d’avis de couper la
jambe gauche.
    — Avec cette chaleur ? protestait Yvan. Ce n’est
pas raisonnable !
    — Hélas ! ajoutait Berthet. Notre excellent
confrère a raison, et quant à moi, je préconise par précaution l’amputation des
deux jambes.
    — Vous êtes fous !
    — Coupons !
    — Vous êtes fous ! Je connais bien le maréchal, il
a assez d’énergie pour guérir sans amputation !
    — Nous aussi, nous connaissons le maréchal, cher
confrère. Vous avez vu ses yeux ?
    — Qu’est-ce qu’ils ont ?
    — Ils sont tristes. L’homme perd ses forces.
    — Messieurs, conclut le docteur Larrey, je vous signale
que je dirige cette ambulance et que la décision me revient. Nous couperons la
jambe gauche.
     
    Lorsque Edmond de Périgord se rendit au bivouac de la
Vieille Garde, entre le petit pont et la tuilerie, il trouva le général
Dorsenne en train de passer la revue de ses grenadiers pour la énième fois. Il
les voulait impeccables et propres. Il repérait d’un œil expert la poussière
sur une manche, un défaut de blanc au baudrier, une moustache mal relevée, des
guêtres lacées trop lâches ; en caserne, il soulevait les gilets pour
vérifier la netteté des chemises. Pour lui, on allait à la guerre comme au bal,
avec élégance, et il était aussi maniaque sur sa propre tenue ; il se
soignait comme s’il évoluait en permanence devant des miroirs. Il était beau,
disaient les femmes, avec ses cheveux noirs bouclés, son teint pâle, ses traits
fins. La Cour papotait à son propos, on savait par cœur ses amours avec la
provocante Madame d’Orsay, l’épouse du fameux dandy, sur laquelle le ministre
Fouché répétait des anecdotes graveleuses. Périgord, qui avait de la tournure,
quoique plus jeune, avait souvent croisé Dorsenne au théâtre ou aux concerts
des Tuileries. Tous deux, à la différence de la plupart des autres militaires,
portaient avec naturel les bas de soie et les souliers à boucle, ou bien des
uniformes extravagants pour attirer l’attention des duchesses. Tous deux
avaient un réel courage mais ils aimaient le montrer ; on prenait leurs
postures pour du mépris ; ils agaçaient.
    — Monsieur le général de la Garde, dit Périgord, Sa
Majesté vous prie de monter en ligne.
    — À merveille ! répondit Dorsenne en enfilant ses
gants.
    — Vous opposerez à l’ennemi un mur de troupes sur la
largeur du glacis, à la droite des cuirassiers du maréchal Bessières.
    — Fort bien ! Considérez que nous y sommes déjà.
    Dorsenne, d’un mouvement souple, monta sur le cheval qu’on
lui avançait, cria un ordre bref et la Garde impériale s’ébranla d’un même pas,
comme pour défiler au Carrousel, la musique et les aigles en tête. Périgord
admira cet ensemble puis retourna vers l’état-major rendre compte à Berthier.
    L’apparition sur la crête des bonnets à poil de la Garde
suffit à interrompre les canons autrichiens, puis ils reprirent le feu. Le
général Dorsenne réglait la position de ses grenadiers étirés sur trois rangs.
    Il avait tourné son cheval pour vérifier qu’ils se tenaient
presque au coude à coude, et pour cela, sans se soucier, tournait le dos aux
canons et à l’infanterie de l’Archiduc. Dès qu’un boulet renversait l’un de ses
soldats, il ordonnait, bras croisés :
    — Serrez les rangs !
    Les grenadiers, repoussant du pied le corps de leur camarade
tombé, serraient les rangs. Cela se produisit vingt fois, cent peut-être, et
ils serraient les rangs. Quand l’un des porte-aigle eut la tête balayée par un
boulet, des pièces d’or roulèrent à terre ; le bougre avait eu l’idée de
cacher ses économies dans sa cravate, mais personne n’osa se baisser pour en
ramasser une poignée, par crainte des remontrances ; les plus proches
louchaient quand même sur le sol où brillaient les

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