La chapelle du Diable
père oublie ce qu’y t’a dit.
Jean-Marie regarda François-Xavier dans les yeux.
— J’ai pus de père… Pis vous le savez très bien, mononcle.
Pierre souffrit le martyre. Il dut rester couché jusqu’au mois de mars, les
jambes attachées en l’air. On venait le débrider tous les jours. On craignait
l’infection. Il avait sauvé Hélène qui, elle, ne gardait aucune
séquelle. Après les funérailles, un couple du village se présenta à la porte de
Julianna et offrit de prendre le bébé. Ils n’avaient jamais eu la joie d’avoir
un enfant. Julianna pleura. Elle dit à Ti-Georges qu’elle pouvait garder le
bébé. Cependant, avec la famille nombreuse qu’elle avait et un grand brûlé comme
Pierre, elle se résigna à accepter la décision de son frère surtout qu’elle
était à nouveau enceinte. Elle ne dormait presque plus. Mathieu faisait des
cauchemars et ne parlait que du feu de l’enfer. Elle craignait l’incendie et
surveillait le moindre bruit suspect. Julianna avait l’impression qu’elle allait
devenir folle ! Une autre semaine passa et Marie-Ange se rendit compte qu’elle
ne pouvait se résoudre à laisser Hélène, sa filleule, à des étrangers, aussi
gentils soient-ils. Elle prit sa décision et offrit à Ti-Georges d’élever Hélène
comme sa propre fille. Son frère hésita. Il passait toutes ses journées à se
bercer dans la cuisine de Julianna, à regarder dehors, l’âme en peine, dévasté.
De voir ses neveux et nièces courir, jouer, juste être vivants lui était déjà
intolérable. Il ne voulait pas vraiment avoir Hélène en plus. Maladroitement, il
essaya d’expliquer comment la présence de la petite survivante lui ferait trop
mal. Marie-Ange comprit et proposa de partir s’installer à Montréal dans la
maison léguée par Léonie.
Ti-Georges accepta. La vie se permettait le caprice de recréer la même
situation. Et une marraine, sa filleule dans les bras, prit le train pour la
grande ville. Henry fit le voyage avec elles et fut d’une très grande aide pour
les installer dans la maison de Montréal.
En fin de compte, Georges décida de quitter Saint-Ambroise. Il se trouva un
emploi à Jonquière et emménagea dans un logement avec Elzéar. Le nom de
Jean-Marie fut à nouveau banni. Le cousin du curé Duchaine avait ouvert les bras
au jeune endeuillé. Pierre se dit qu’il n’était pas le seul à se remettre de ses
blessures… Seul Elzéar semblait bien s’en sortir.
Couché sur le dos, Pierre avait le temps de se faire bien des réflexions. Sa
sœur Yvette se transforma en véritable garde-maladepour lui.
Elle l’aidait à manger, voyait à ce qu’il ne manque de rien, lui faisait la
lecture. Qui a dit qu’un chien et un chat ne pouvaient pas s’entendre ? On lui
avait préparé un lit de malade dans le coin de la cuisine et Pierre surprit
plusieurs fois sa mère pleurer lorsqu’elle le croyait endormi. Elle pleurait
tous ces départs… Ceux dans la mort, mais aussi ceux de sa mère adoptive, de
Jean-Marie et de Marie-Ange. Julianna avait été bouleversée lorsque sa grande
sœur lui avait fait part de son intention de déménager.
— Mais Marie-Ange, élever un bébé ! Tu voyageras jamais ! s’était écriée
Julianna.
— Je le sais que tu trouves ça ben dur. Ah non, y a assez eu de larmes dans
cette maison…
Julianna se retrouva bien seule. Son mari était très distant, comme s’il ne
savait comment gérer toutes ces émotions. À moins que ce ne soit elle qui
délaissait François-Xavier… La maison comme un hôpital, la tristesse, le manque
d’argent... Mathieu qui avait recommencé à mouiller son lit, à son âge ! Rien
n’allait bien ! Toute la planète allait mal ! On parlait de la guerre
quotidiennement. C’était comme si un énorme nuage noir restait toujours
au-dessus de leur tête et les suivait partout.
Pierre fit enfin quelques pas. Ses membres étaient raides, sa peau, ses
muscles. Quand vint son douzième anniversaire, au début d’avril, il fut gâté
comme jamais. Il reçut une chaîne en or avec, en pendentif, une petite croix. Sa
mère lui expliqua que son parrain avait contribué afin de le remercier d’avoir
sauvé Hélène. Le curé passait beaucoup de temps auprès de lui. Pierre aimait
beaucoup cet homme de Dieu et il se dit que le religieux y était pour beaucoup
dans son
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