La chapelle du Diable
Elzéar se tenaient en retrait avec le curé et le docteur. Quelques
voisins s’étaient rassemblés. Tous se tenaient immobiles devant le désastre. On
aurait pu les croire en prière ou en recueillement, mais si on y regardait de
plus près, ces hommes étaient tout simplement sous le choc. Sept enfants et une
jeune mère étaient décédés... Une telle ampleur dépassait la capacité
d’adaptation qu’un être humain peut avoir face à des événements tragiques.
On respecta le silence de Georges. Ti-Georges prit une grande inspiration et
lentement s’approcha des décombres. Plus tard, des boîtes seraient apportées, et
c’est par la grosseur des crânes que l’on essaierait d’identifier les morts. Les
quêteux étaient disparus comme s’ils n’avaient jamais existé. On expliquerait
que personne n’avait rien pu faire. Le naphte était si dangereux. Il avait donné
au feu un pouvoir immense. Le combustible, combiné avec le poêle qui
surchauffait, l’état de la vieille maison de bois sec et l’air glacial qui
s’était engouffré par la porte ouverte, avaient provoqué un incendie dévastateur
qui n’avait laissé aucune chance. En prévision des grands froids, on avait
calfeutré les fenêtres, ce qui en empêchait l’ouverture mais hélas, également la
fuite des enfants…
— Viens, Georges, on reste pas là. Ça donne rien… Viens… On retourne chez nous,
proposa François-Xavier.
Ti-Georges refusait de bouger. Il avait la folle impression que sesenfants sortiraient des cendres, se secoueraient et diraient :
« Coucou papa, on vous a joué un bon tour, hein ? » Les jumeaux seraient fiers
de leur coup, Sophie lui sauterait au cou, Delphis le regarderait avec un
demi-sourire... Samuel aurait voulu jouer encore... Mais non... Ils étaient
allés retrouver leur maman Marguerite... Et Rolande et ses autres enfants...
Augustin qu’il avait aimé comme le sien, Antoinette, si mignonne... Il se
sentait tellement coupable : si seulement il avait pensé à prendre les
couvertures dans le salon au lieu de courir à l’étable…
Tout à coup, Jean-Marie tomba à genoux dans la neige, sanglotant. Ses petits
frères et sœurs étaient morts. Rolande était morte. Son amour, sa vie. Il
l’aimait…
Georges se tourna vers lui comme au ralenti. Sans crier gare, il s’approcha de
son fils et se mit à le rouer de coups de pied en vociférant :
— C’est ta faute, criss de calvaire de fils... C’est ta faute... J’voulais pas
les faire entrer, ces quêteux-là... Je les aurais jamais laissés attacher leurs
damnés chiens près du naphta. Tout le monde sait ça que c’est dangereux ! C’est
ta faute ! T’as-tu compris ! Y fallait les envoyer dans la grange ! C’est à
cause de toé qu’y sont tous mort ! À cause de toé ! Enfant de chienne de maudit
infirme à marde ! J’veux pus jamais te voir !
Henry et François-Xavier essayèrent de retenir Ti-Georges et de l’éloigner de
Jean-Marie. Le fils pleurait et recevait les coups sans se débattre. Il
avoua :
— Je l’aimais… Je l’aimais…
Ti-Georges se calma et repoussa ses deux amis. Il regarda Jean-Marie d’un air
méprisant et lui dit :
— Moé aussi, criss…
Henry ramena Ti-Georges et Elzéar à la ferme de Julianna.
François-Xavier resta avec Jean-Marie. Doucement, sans poser de questions, il
aida son neveu à se relever.
— Jean-Marie, reste pas à terre. Lève-toé, mon grand…
Le curé s’approcha d’eux et offrit son bras. À deux, ils soutinrent le jeune
homme éploré.
— Jean-Marie, reprit François-Xavier, j’pense pas que c’est une bonne idée que
tu viennes à maison… Y faut laisser du temps à ton père…
— Tu t’en viens avec moi au presbytère, décida le curé Duchaine.
Jean-Marie fit signe que non.
— Je… J’vas m’en retourner en Ontario ou… je… je…
— T’es pas en état de voyager… Va chez le curé.
— Non, j’veux partir…
— Jean-Marie, attends, j’ai peut-être une idée. Que c’est que vous en pensez,
curé Duchaine, si Jean-Marie allait chez les trappistes ?
— C’est une excellente idée, François-Xavier.
— Chez les trappistes ? demanda Jean-Marie.
— Oui, confirma son oncle. Tu vas voir, tu vas être ben. Tu pourras rester le
temps que tu voudras là-bas, chus certain. Le temps d’avoir un peu moins de
peine… Pis que ton
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