La chapelle du Diable
précieusement contre lui et essaya de se rediriger vers
la porte. Il laissa une main frotter tout le long du mur et lui servir de guide.
Arrivé près de son but, il sut qu’il ne pourrait passer. Le feu lui bloquait le
passage. Pierre s’immobilisa. Le terrible ennemi joua la carte de
l’intimidation, projetant au visage de Pierre une fumée étouffante. Le garçon
battit en retraite. Le feu était si arrogant qu’il prit la peine de mirer sa
puissance et de faire jouer la longueur de ses flammes dans le reflet de la
fenêtre. Cela permit à Pierre de pouvoir se diriger rapidement vers l’ouverture
dans le mur. Il déposa Hélène à ses pieds et essaya de remonter le châssis. Mais
le mécanisme était bloqué. Le feu, ricanant devant la futile tentative de sa
proie de se sauver, s’avança lentement vers Pierre, menaçant, riant de le voir
acculé, presque à portée. L’élément cessa un moment sa progression. Allait-il
dévorer en premier le bébé, à la chair tendre, à la peau douce, ou ce garçon de
presque douze ans, plus musclé... Le feu dansa sur place de vive anticipation,
du délice qu’il se mettrait sous la langue.
Pierre manqua se rendre. Qui le guida une fois de plus ? Était-ce Dieu ?
Toujours est-il que l’enfant sentit comme une aura autour de lui qui lui
insuffla une force surhumaine. Il pivota à moitié et, à l’aide de son coude, il
fracassa la vitre qui céda en laissant un trou béant aux pointes acérées. Le feu
ragea. Pierre n’eut que le temps de se pencher, d’attraper par ses langes le
bébé et de le lancer, le plus loin possible, par la fenêtre brisée. Le bruit
sourd que le paquet fit en tombant dans la neige passa inaperçu parmi les
craquements sinistres de la maison en train de brûler. Cependant, le feu ne
laisserait pas se sauver si facilement ce garçon. Sans plus se retenir, il
attaqua.Il avait cru pouvoir lentement cerner sa cible, danser
autour de lui, le lécher lentement, mais il devait se rendre à l’évidence et
sauter dessus avant qu’il ne s’échappe à son tour. Le feu tenta de le retenir
par les pieds, lui mordant les jambes, le fouettant dans le dos... Pierre tomba
dans la neige et roula sur lui-même afin d’étouffer les flammes qui consumaient
le bas de sa jaquette. Il souffrait. Il s’était fait de profondes entailles en
fracassant la vitre pour pouvoir passer. Il releva la tête et vit le petit
paquet, inerte, devant lui. Avec ce qu’il lui restait de force, il rampa sur les
coudes, ses jambes brûlées refusant de bouger, maculant la neige de longues
traînées rouges, et se déplaça, pouce par pouce, vers sa cousine. Il priait et
priait : « Faites qu’elle soit pas morte, faites qu’elle soit pas morte ! »
Épuisé, il arriva enfin à tendre les doigts vers le bébé, solidement emmailloté
de plusieurs couvertures. Rien ne bougeait. Il l’attira à lui et le blottit
contre son cœur. Son esprit dériva. Il tourna la tête d’un côté et vit la maison
et le feu qui y rugissait par toutes les fenêtres. Il eut l’impression
d’apercevoir une ombre dans celle de l’étage, un visage grimaçant, appelant
muettement à l’aide. Il tourna sa tête de l’autre côté. Ses yeux se posèrent sur
un ciel étoilé, majestueux, calme et sur le contour des arbres de la forêt au
loin. Étrangement il ne ressentait plus aucune douleur, ni le froid glacial de
l’extérieur, ni la chaleur ardente que la maison dégageait. Il faisait partie de
la neige. Il n’était plus qu’un flocon parmi tant d’autres, qu’une petite étoile
de glace.
Plus tard, beaucoup plus tard, quand Georges serait en mesure de raconter cette
terrible soirée, quand les mots pourraient sortir de sa poitrine, il dirait que
lorsqu’ils revinrent de la grange, lui et Jean-Marie, il était impossible de
retourner à l’intérieur de la maison. Elzéar les avait rejoints et les trois
hommes, paniqués, ne surent un moment quoi faire. Georges essaya de rentrer mais
Jean-Marie le retint encriant que c’était impossible, le feu
était trop fort ! Il se recula un peu et cria de tous ses poumons pour que ses
enfants à l’étage ouvrent la fenêtre des lucarnes, sautent dans ses bras. Il
pensa à l’échelle, la vit sur le toit, inutile, hors d’atteinte. Il envoya
Elzéar chercher du secours. Le jeune homme partit à la course vers la maison
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