La chasse infernale
forêt vers le sud-ouest.
— Racontez-lui la suite ! Racontez-lui la suite ! cria Boletus d’une voix stridente.
— Ils avaient de la compagnie, reprit le shérif en jetant un coup d’oeil furieux à son verdier. Un mécréant, un maquereau du nom de Vardel, et une demi-douzaine de ribaudes d’un bordel de la ville.
— Et je sais où ils sont ! hurla Boletus, triomphant.
— Prenez vos chapes ! ordonna le shérif. Boletus, je veux quatre de tes compagnons, six éclaireurs armés et environ dix archers. Nous irons à pied.
Quelques instants plus tard, un groupe d’hommes en armes, Boletus les précédant comme un chien de chasse, quitta le château. À leur passage dans les étroites rues, mendiants et coquins, apercevant le scintillement des cottes de mailles et entendant le cliquetis des épées, allaient se tapir dans les venelles. Les portes des tavernes se fermaient brutalement. Les ribaudes, leurs perruques d’un roux ardent brillant comme des fanaux dans les ténèbres, les voyant venir détalaient en un clin d’oeil. De temps à autre un volet s’ouvrait en grand et une voix lançait des injures auxquelles Bullock, qui s’amusait sans retenue, répliquait du tac au tac.
Ils quittèrent la ville par une poterne et suivirent un sentier sec et poussiéreux qui passait devant une longue rangée de chaumines et de potagers. Les ténèbres se firent plus denses. Bientôt les bruits et les clameurs de la cité s’évanouirent. La soirée était fraîche, le ciel clair et on n’entendait que le tintement des armes ou l’agitation furtive d’un animal dans une haie ou un fossé. Quelques soldats commencèrent à se plaindre, mais quand Bullock se retourna, poing levé, ils se turent. Finalement, ils abandonnèrent le sentier et empruntèrent une piste. Les arbres, autour d’eux, poussaient plus dru. Les bruits de la forêt s’intensifièrent : hululement d’une chouette, cri d’un engoulevent, prestes bruissements sous la futaie. Corbett et Ranulf, Maltote boitillant sur leurs talons, essayaient de se maintenir à la hauteur de la large foulée de Bullock. La forêt s’épaissit ; les branches se déployaient comme des doigts rigides pour saisir le clair de lune fantomatique. Boletus revint en arrière en sautillant sans bruit. Il leva la main et chuchota quelques mots au shérif, qui ordonna à ses hommes de se déployer. La file de soldats progressa doucement. Corbett huma l’air. Il sentit une odeur de fumée de bois ainsi qu’un relent désagréable de viande calcinée, puis aperçut, à travers les arbres, l’éclat d’un feu. Un tambour battit faiblement dans la nuit. Quand ils s’approchèrent, la végétation s’éclaircit, le sol s’inclina et la vue s’ouvrit sur une clairière. Corbett, fasciné, ne quittait pas des yeux le spectacle qui se déroulait devant lui pendant que Bullock chuchotait des réprimandes à ses hommes qui s’étaient mis à rire et à proférer des remarques obscènes. Dans la clairière, des silhouettes nues, des hommes et des femmes, dansaient et cabriolaient autour de quatre feux. On ne pouvait voir les musiciens, mais le magistrat aperçut un groupe qui faisait rôtir de la viande sur un autre feu, à l’autre bout de la clairière.
— On dirait une diablerie, souffla Ranulf.
— Pour l’amour du ciel, qu’est-ce que c’est ?
Une silhouette encapuchonnée et masquée s’avança, vêtue d’une robe grise sur laquelle était peint un grand oeil humain.
— Maître, je ne crois pas que ce soit ce que nous pensions, dit Ranulf en réprimant son rire.
Près de Corbett, Bullock se redressa et tira son épée.
— Diantre ! s’exclama-t-il. J’ai l’estomac dans les talons : il y a du vin là-bas et quelques-unes de ces donzelles sont très engageantes.
Il se précipita, suivi par les soldats. Ils avaient envahi la clairière avant même que la danse ait cessé.
Corbett, qui avait fait signe à Ranulf et Maltote de rester en arrière, comprit que Bullock avait sous-estimé ses adversaires. Les danseurs étaient peut-être ivres et pris par surprise, mais ils étaient bien armés. On tira épées et poignards, on sortit des épieux et la clairière se transforma en champ de bataille. Même les femmes se jetèrent dans la mêlée : Corbett vit une solide gaillarde, munie d’un gourdin, envoyer au sol deux des hommes de Bullock.
— Je suppose que nous ferions mieux de leur prêter main-forte, chuchota Ranulf.
Corbett
Weitere Kostenlose Bücher