La chasse infernale
Rattrape-le, Ranulf, et dis-lui d’ouvrir les yeux, de rester bien caché dans l’ombre, et, s’il est fatigué, de revenir. Notre portier croira qu’il est l’un des amis d’Ap Thomas.
Ranulf partit et le magistrat s’étendit sur le lit. Il aurait voulu rester éveillé, mais ses paupières se firent lourdes et il sombra dans un sommeil sans rêves.
Ranulf, quand il revint, ôta les bottes de son maître, le recouvrit de sa chape, souffla la chandelle et regagna sa chambre. Il frotta de l’amadou, la piètre lampe à huile donna une lueur vacillante et il ouvrit les Confessions de saint Augustin.
« Tu es notre créateur, ô Seigneur, et nos coeurs ne trouvent pas de paix avant de reposer avec Toi. »
Ranulf ferma les yeux. Il se souviendrait de ces mots. Il les citerait la prochaine fois que son « Maître Longue Figure » recevrait quelque vaniteux prélat ou prêtre érudit. Oh oui, tout le monde hocherait la tête, émerveillé devant le changement de Ranulf-atte-Newgate.
Dans l’allée, derrière Sparrow Hall, Maltote s’accroupit et se demanda combien de temps Sir Hugh les garderait à Oxford. Contrairement à Ranulf, Maltote aurait pu vivre et mourir à Leighton. Debout dès potron-minet, il serait avec joie resté dans les écuries jusqu’à ce que la nuit tombe et qu’il s’écroule de fatigue. Il leva les yeux sur la sombre masse de Sparrow Hall et aperçut la minuscule lueur d’une chandelle. Autour du jardin du collège, le mur était élevé et Maltote ne quittait pas du regard la poterne. Si quelqu’un sortait, il était certain que ce serait par cette porte. Un chat en maraude se glissa dans les ténèbres. Maltote le regarda grimper sur un tas de fumier près du mur : un animal à fourrure en jaillit et lui et le matou disparurent.
Maltote contempla les étoiles en souriant. Il avait apprécié l’incursion nocturne dans la forêt. Il avait cru avoir la berlue en voyant certaines de ces dames ! Il s’humecta les lèvres. Il n’avait avoué à personne, pas même à Ranulf, qu’il était encore puceau. Il s’était, une fois, épris d’une damoiselle, la fille d’un meunier, qui demeurait près du manoir de Leighton, et il lui avait apporté des fleurs, mais elle s’était moquée de lui quand, visage cramoisi, il n’avait pu articuler une parole. Quand il reviendrait à Leighton, peut-être lui rendrait-il à nouveau visite. Il entendit un bruit et rouvrit les yeux. La porte de la poterne était toujours solidement close. Il se releva et plissa les paupières pour mieux distinguer la forme sombre qui se traînait vers lui : sa main chercha le poignard suspendu à son ceinturon.
— Qui va là ? Qui êtes-vous ? cria-t-il.
Une sébile cliqueta et Maltote se détendit. Le mendiant s’approcha en tendant la main. Maltote fouilla dans son escarcelle – il avait une piécette quelque part. L’homme serait peut-être une compagnie pour passer les heures de veille. Il leva les yeux et la sébile le frappa en plein visage. Maltote recula en vacillant et se cogna la tête contre le mur. Il rebondit en faisant un écart, mais son assaillant était trop rapide et le poignard, perçant et cruel, lui déchira le ventre. Le palefrenier cria de douleur, une main crispée sur l’estomac, l’autre griffant l’air. Il tomba, et sa tête heurta les pavés pendant que le mendiant disparaissait dans les ténèbres.
Le lendemain matin, un coup sourd à la porte réveilla Corbett. Il ouvrit et se trouva devant Norreys. Ranulf sortit lui aussi de sa chambre en enfilant ses bottes.
— Sir Hugh, venez au collège, c’est Maltote ! dit Norreys, la gorge serrée.
Le magistrat jura.
— Il n’est pas revenu, se lamenta Ranulf. J’étais censé le remplacer.
— Il se meurt, déclara Norreys. Sir Hugh, votre serviteur est mourant. Messire Churchley l’a emmené à l’infirmerie, mais il n’y a rien à faire.
Corbett le regarda bouche bée. Il serra les bras contre sa poitrine pour lutter contre le froid qui l’envahissait. Ranulf, cependant, avait déjà écarté les deux hommes et dégringolé l’escalier. Corbett mit ses bottes, saisit sa chape et traversa l’allée avec Norreys en direction de Sparrow Hall.
Churchley, entouré des autres maîtres, les attendait dans le parloir. Il ouvrit la bouche pour donner des explications, y renonça, leur fît signe de le suivre et les conduisit, en haut de l’escalier, dans une pièce chaulée. Maltote gisait sur un
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