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La Chimère d'or des Borgia

La Chimère d'or des Borgia

Titel: La Chimère d'or des Borgia Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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– avec une affreuse hypocrisie ! – il ne cessait de se répéter qu’il lui fallait reprendre le train pour Venise de toute urgence !
    De toute façon, le dilemme était idiot. Après ce qui s’était passé à l’hôtel Drouot, il lui était impossible de prendre une fuite dont il n’avait nulle envie et, en outre, John-Augustus avait déjà téléphoné la veille au soir pour les inviter, lui et Adalbert… Donc inutile d’aller jouer les toutous perdus dans le hall du palace dans l’espoir d’apercevoir la dame de ses pensées.
    Sans même s’en apercevoir, il se retrouva devant le luxueux magasin d’antiquités dont les vitrines n’exposaient, comme naguère, qu’un seul objet mais exceptionnel. Et quand il entra, annoncé par une discrète sonnette, il vit que les somptueuses tapisseries anciennes montaient toujours la garde le long des murs. Mais il n’eut pas le loisir d’aborder le seuil : un couple en sortait, parlant avec tant d’animation qu’on ne lui prêta aucune attention… De haute taille, bien proportionné, le cheveu très noir sous le feutre au retroussis cavalier, l’œil de jais et la dent éclatante, l’homme était client d’un bon tailleur mais la recherche un rien excessive des vêtements l’annonçait italien – Aldo, lui, préférait la sobriété anglaise et s’habillait à Londres – et d’emblée, il lui déplut. Il détesta son sourire avantageux et son attitude quasi familière avec sa compagne dont il tenait le coude. Sa compagne qui était Pauline !
    Aldo les regarda s’éloigner vers le Ritz en serrant les poings, pris d’une folle envie d’aplatir le sourire enjôleur sur le visage scandaleusement régulier qui osait faire rire Pauline ! Elle-même était superbe dans un tailleur réchauffé de vison noir, comme le manchon où disparaissaient ses mains et la toque piquée d’une agrafe d’onyx et de diamants que le pâle soleil faisait scintiller en équilibre sur la masse lustrée du chignon noir serré sur sa nuque, fidèle en cela à ses habitudes, car elle ne portait jamais que du noir, du blanc et du gris, ce gris nuageux, insondable, qui était celui de ses yeux…
    Au prix d’un effort plus pénible qu’il ne l’aurait cru, Aldo se détourna enfin et se réfugia dans le magasin où l’accueillit une exclamation de surprise :
    — Le prince Morosini ! Mais quel plaisir inattendu !
    C’était décidément la matinée des surprises, car plus anglais et plus réservé que M. Richard Bayley ne se pouvait trouver sur la terre… Déjà âgé mais d’une dignité sans pareille, courtois et facilement distant, celui qui avait été si longtemps l’assistant de feu Gilles Vauxbrun demeurait fidèle à lui-même, sa silhouette longiligne couronnée de cheveux blancs dont aucun ne dépassait les autres, immuablement fidèle au veston noir porté sur un pantalon rayé, complété d’une chemise blanche au col à coins cassés et d’une cravate grise.
    Les deux hommes échangèrent une chaleureuse poignée de main.
    — J’aurais dû me douter que vous viendriez, prince, dit Richard Bayley. La vente d’hier, j’imagine ?
    — Bien sûr, mais de toute façon j’avais envie de venir voir comment se débrouille notre ex-futur procureur de la République aux prises avec les témoins des siècles passés !
    — À merveille ! Il a une profonde culture et il ne cesse de la compléter, soutenu par l’image de son père qu’il souhaite par-dessus tout égaler ! Il est touchant de piété filiale… et vous serez étonné lorsque vous verrez la rue de Lille. À coups d’annonces dans les journaux, il a récupéré presque tous les anciens serviteurs – à l’exception de ce pauvre Lucien Servon bien entendu ! – et il traque tous azimuts les meubles dispersés ! Mais je vais vous annoncer, il est dans son bureau…
    Il n’en eut pas la faculté : jaillissant dudit bureau, le nouvel antiquaire se figeait au seuil un instant puis, soudain rayonnant, lançait un :
    — Aldo… qu’il corrigea aussitôt, confus : Prince Morosini ! Veuillez m’excuser ! La surprise…
    — Il n’y a rien à excuser, mon garçon ! En m’appelant ainsi, tu me rends ton âge. Et c’est bien agréable ! Comment appelles-tu Vidal-Pellicorne lorsqu’il vient te voir ? Car je suppose qu’il vient ?
    — Oh oui, et c’est toujours un plaisir ! Je lui dois tant !
    — Alors comment l’appelles-tu ?
    — Adalbert ! avoua le jeune homme en devenant rouge brique.

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