La Chimère d'or des Borgia
Prologue
Atlantique Nord – dimanche 14 avril 1912, ciel clair, mer calme, minuit. Depuis quelques minutes, et quelques heures avant son arrivée à New York, le Titanic , le splendide paquebot de la White Star Line, est frappé à mort et va terminer là une traversée inaugurale qui s’annonçait triomphale. Mais il ne le sait pas encore.
Il y a tout juste vingt minutes que la vigie, Frederick Fleet, a signalé à la passerelle :
— Iceberg, droit devant !
Puis il s’est cramponné pour étaler le choc de la montagne de glace surgie soudain de l’obscurité comme un fantôme mais, juste avant la collision, le marin a vu, avec soulagement, la proue du navire dévier sur bâbord et l’iceberg défiler le long du flanc tribord. Et il a exhalé un énorme soupir…
À l’intérieur, on n’avait ressenti qu’une secousse légère. Si anodine que, dans les cuisines, elle n’avait provoqué que la chute des petits pains que l’on préparait pour le breakfast du lendemain. Dans le fumoir, on ne ressentit rien du tout. On jouait aux cartes et l’un des participants, apercevant la masse blanche à travers les grandes vitres, demanda en plaisantant que l’on aille sur le pont lui chercher un peu de glace pour son whisky. Et de rire ! On constata simplement que le navire avait stoppé. Sans doute pour une manœuvre…
En fait le Titanic porte sur le flanc une blessure inguérissable : l’iceberg a déchiré sur 90 mètres la – double ! – coque renforcée qui, comprenant de nombreux compartiments étanches, devait le rendre insubmersible. L’eau s’est engouffrée dans la salle de squash, celle du courrier et d’autres encore sans que l’on ait eu le temps de faire jouer les cloisons. En outre, si les passagers des ponts supérieurs n’ont rien senti, tous les occupants des profondeurs du navire ont subi un choc violent. Bien que le commandant Edward Smith et Thomas Andrews, le constructeur du Titanic , se soient précipités pour effectuer une visite complète du bâtiment, la réalité leur est vite apparue aveuglante : le plus beau bateau du monde est perdu irrémédiablement.
— Combien de temps nous donnez-vous ? demande le commandant.
— Une heure… une heure et demie peut-être. Pas plus…
— Alors il faut évacuer !
Or là se pose un problème. Si le Titanic transporte 2 206 personnes, il ne dispose que de 16 canots en bois et 4 en toile pliable : soit 1 178 places. Il faut du secours. Plusieurs navires sont sur l’Atlantique cette nuit-là, à des distances variées. Le plus proche est le Carpathia de la Cunard Line. C’est à lui que le radio Philipps envoie l’appel suivant : « CQD. CQD. SOS. SOS CQD. SOS. Venez immédiatement à notre secours. Avons heurté iceberg. Position 41° 46 latitude N, 50° 14 longitude O. »
La réponse parvient aussitôt. Le Carpathia croise à 58 milles et arrive « à toute vitesse ». En espérant qu’il rejoindra à temps, on va déjà charger les canots.
Mais si les passagers de l’entrepont et de troisième classe qui, eux, ont compris se précipitent sur le pont E, c’est toute une histoire de faire sortir les classes supérieures de leurs lits bien chauds ou de leurs parties de cartes. En effet, le bateau ne bouge plus et donne l’impression d’être aussi solide qu’un rocher. Croyant à une sorte d’exercice d’alerte, ils se sont rassemblés sans hâte excessive sur le pont des embarcations. Dans le grand salon, l’orchestre jouait « Alexander ragtime band ». L’affolement survint quand, à cette foule engoncée dans ses gilets de sauvetage, le commandant annonça que, faute de places suffisantes, on embarquerait les femmes et les enfants en priorité, les hommes ensuite, ce qui en condamnait un bon nombre si le Carpathia ne rejoignait pas à temps. Il y en eut pourtant pour oser forcer le passage comme… lord Ismay, président de la White Star Line ! Mais il y eut aussi des exemples touchants, tel celui de ce vieux couple des plus fortunés, refusant de se séparer et allant tranquillement s’asseoir, la main dans la main, dans des transats… tandis que l’ordre était donné de lancer les fusées de détresse…
Quelqu’un les a vues. Il y avait, en effet, pas loin de là, le paquebot Californian , à 19 milles, mais à cause des icebergs, il avait stoppé ses machines et le radio était parti se coucher. Quant à l’officier de quart, il remarqua que le ciel s’illuminait au-dessus de ce navire qui semblait
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