La chute de l'Empire Romain
Ravenne.
Son fils, l’empereur d’Occident, Valentinien III, résidait dans cette cité que les lagunes et les marais mettaient à l’abri des coups de main des hordes barbares.
Ces tribus, ces peuples − Quades et Marcomans, Alamans, Francs, Goths, Vandales, Saxons, Burgondes, et tant d’autres − déferlaient, depuis des décennies, par vagues successives surgies des forêts obscures d’au-delà du Rhin ou du Danube.
Les légions romaines − plusieurs dizaines de milliers d’hommes − tentaient de les contenir, de les refouler, fortifiaient les frontières de l’Empire, dressaient un mur de cinq mètres de haut, et derrière ce limes la civilisation romaine se déployait.
Galla Placidia, durant toute son enfance, avait été persuadée que Rome était le cœur immortel du plus grand empire du monde.
Il s’étendait des brumes de l’Angleterre et de l’Écosse aux fleuves de Mésopotamie, le Tigre et l’Euphrate, et du Rhin et du Danube jusqu’à l’Afrique du Nord et au Nil.
Galla Placidia écoutait, fascinée, les sénateurs exalter l’histoire de la Ville, Rome, fondée en 753 avant Jésus-Christ.
« Rome, déclamait le Gallo-Romain Rutilius Namatianus, tu es la reine magnifique d’un monde soumis à tes lois, Rome, tu as pris place parmi les divinités du ciel… Tu as fondu les nations les plus diverses en une seule patrie… Tu as offert aux peuples vaincus le partage de ta civilisation. »
L’un de ces vieux Romains, Symmaque, sénateur au visage poudré, au corps gras, à l’éloquence empesée, répétait à Galla Placidia que Rome et son Sénat étaient la « meilleure part de l’Humanité ».
Il regrettait que l’empereur Constantin ait, en 330, renoncé aux dieux, aux rites, aux sacrifices, aux religions païennes et décrété que l’Empire serait chrétien.
Mais d’autres − tel le poète chrétien Prudence − saluaient cette naissance :
« Du mélange des peuples une race unique est née… La Paix romaine a préparé la voie à la venue du Christ […]. Déjà, ô Christ, tu saisis le monde, que la Paix et Rome tiennent en un nœud serré. »
De nouvelles villes étaient devenues des capitales : Milan, Trèves, Ravenne, et, rivale de Rome, Constantinople, construite par l’empereur chrétien Constantin.
L’un de ses successeurs, l’empereur Théodose, le père de Galla Placidia, avait ordonné qu’on ferme les temples païens, puis à l’approche de sa mort, en 395, il avait partagé l’Empire entre ses deux fils.
À l’aîné, Arcadius, l’empire d’Orient, dont Constantinople était le joyau. Au cadet, Honorius, l’empire d’Occident et Ravenne. Dans chacun de ces empires, les riches, les puissants accumulaient les biens, l’or, la terre et les esclaves.
« Je veux une maison commode, écrit l’un d’eux, Paulin de Pella, aux larges appartements disposés successivement selon les saisons de l’année, une table brillante et bien garnie, des domestiques jeunes et nombreux, des artistes en différents genres, habiles à exécuter promptement des commandes ; des écuries pleines de chevaux bien nourris, et pour la promenade des voitures sûres et élégantes. »
Mais Galla Placidia avait la nostalgie de Rome la populeuse, la monumentale, l’entretenue et la courtisée.
On y distribuait gratuitement aux citoyens romains le pain et le vin, on y célébrait les dieux antiques, la force, on y distrayait le peuple en y organisant des jeux cruels, au Colisée.
Symmaque avec fierté racontait à Galla Placidia qu’il avait fait combattre à mort dans l’arène des gladiateurs romains et des Barbares désarmés, dont les fauves s’étaient disputé les corps encore palpitants. Mais le sang avait débordé du Colisée.
Le 24 août 410, et durant trois jours, les Barbares wisigoths, conduits par leur roi, Alaric, avaient occupé, pillé, saccagé Rome.
Galla Placidia avait vingt ans.
Alaric l’avait choisie comme otage de grand prix à respecter mais elle avait dû marcher sous les coups de fouet, avec d’autres femmes, elles aussi butin précieux des Barbares.
Ces jours-là, Galla Placidia avait appris à regarder la mort sans jamais détourner la tête.
Elle savait la reconnaître lorsque cette rapace se grimait.
La mort se glissait ainsi parmi les courtisans serviles qui se pressaient autour de Valentinien III, le fils de Galla Placidia. Galla les démasquait. Ils rêvaient de tuer l’empereur.
Certains eunuques au
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