La Collection Kledermann
regardez-vous ainsi ? À quoi pensez-vous ?
— À Pauline Belmont ! J’ai dans l’idée que vous l’aimez bien en dépit des dégâts qu’elle a occasionnés ?
— C’est exact ! Elle est une femme selon mon cœur et ce n’est pas sa faute si elle est profondément amoureuse d’Aldo ! Cela ne veut pas dire que je n’aime plus Lisa. Je sais parfaitement ce que son mari lui a fait endurer. Simplement je voudrais qu’elle soit moins tranchante dans ses jugements, qu’elle essaie d’admettre parfois le point de vue de l’autre et qu’elle nous fasse un peu confiance à Plan-Crépin et à moi quand nous plaidons pour son mari !
— Oh, je suis logé à la même enseigne ! Dieu sait pourtant que je n’ai jamais mâché mes paroles quand j’ai quelque chose à lui reprocher !… Il m’arrive même de dépasser les bornes !
— Bah ! Entre vous deux cela fait partie du jeu ! Et l’existence s’en trouve pimentée. En tout cas je peux jurer sur ce qu’elle voudra : la tête de son époux, l’Évangile ou le salut de mon âme que lors de l’affaire du train, Aldo l’a pris justement pour fuir Pauline. Si elle n’avait pas eu la malencontreuse idée de le rejoindre, tout ce gâchis aurait été évité !… Malheureusement elle est très belle et Aldo a le sang chaud !
— En toute honnêteté, je me demande si, à sa place, j’aurais pu conserver le mien au frais ! N’importe comment, il va tout de même falloir que Lisa donne quelques explications sur son départ de la Croix-Haute…
— Et pour cela la faire revenir ? Il est temps, je crois, de lui apprendre qu’elle a failli devenir veuve… et que le risque perdure !
Quand, après avoir erré interminablement dans des abîmes ténébreux, douloureux aussi par instants, peuplés des formes obscures des cauchemars, traversés par la lumière des visages familiers, Aldo émergea enfin à la clarté d’une vie normale, il sentit que quelqu’un lui tenait le poignet et vit, penché sur lui, le regard attentif d’un homme en blanc coiffé d’un bonnet :
— Docteur ! souffla-t-il sans rien trouver d’autre à dire, mais ce mot banal amena un sourire :
— Ah ! Vous avez enfin décidé de nous revenir ?… J’espère que cette fois c’est la bonne ! Comment vous sentez-vous ?
— Fatigué… mais c’est à peu près tout !
— Pas de douleurs ?
— Nnn… on ! J’ai eu très mal à la tête mais plus maintenant. Cependant j’ai l’impression d’être passé sous un rouleau compresseur !
— On va vous regonfler. Pour l’instant je vais vous examiner ! Relevez-le, Vernon !
Ces derniers mots s’adressaient à l’infirmière d’une quarantaine d’années, grande et forte, entre les mains de laquelle Aldo eut l’impression de ne rien peser. Il se laissa faire sans mot dire, puis quand tout fut terminé, il demanda :
— Où est-ce que je suis ?
Le chirurgien eut un rire malicieux :
— Ce n’est pas la formule adéquate. On dit : « Où suis-je ? », dans les bons romans, sans oublier un air languissant… qui ne vous irait vraiment pas ! Mais pour vous répondre : vous êtes à l’hôpital de Tours et c’est moi, docteur Lhermitte, qui ai eu le privilège de vous raccommoder. Quel souvenir gardez-vous de votre… accident ?
— Le château de la Croix-Haute… Des flammes… beaucoup de bruit. Des éclairs lumineux… puis l’air libre… une détonation… et plus rien !
— C’est déjà pas mal !
— Ma famille… est-ce qu’elle est là ? Il me semblait avoir reconnu ma grand-tante… ma cousine… mon ami Adalbert ?…
— Vous les avez vus effectivement mais ensuite vous avez eu… un caprice !
— Je suis là depuis combien de temps ?
— Quatre jours.
— Et… ma femme ?
À peine eut-il posé la question qu’il se la reprocha mais elle était partie toute seule. Cette fois ce fut l’infirmière qui répondit, rassurante :
— Elle n’est pas encore arrivée mais cela peut se comprendre si elle vient de Venise ! Sans doute ne tardera-t-elle pas ? acheva-t-elle avec un bon sourire auquel Aldo s’efforça de répondre.
Le chemin était long en effet… surtout il avait fallu déjà le parcourir en sens inverse et dans quelles circonstances ! Et à condition que Lisa soit rentrée, mais elle avait pu aussi bien se rendre à Zurich, chez son père, ou à Vienne chez sa grand-mère où elle avait dû conduire les enfants ! Et plus encore quand on représente une page de vie que l’on a décidé
Weitere Kostenlose Bücher