La Collection Kledermann
faire Langlois et ses hommes. C’est lui qui m’avertira quand je pourrai me rendre à Zurich pour causer avec Moritz Kledermann. On pourrait faire plus de mal que de bien.
— À présent qu’Aldo va vers sa guérison, je ne vous cache pas que mon souci principal est Lisa. En la voyant, dans cette clinique où, selon moi, elle n’avait pas à être j’ai eu l’impression d’avoir devant moi une autre femme. Le sort de son mari lui est indifférent. Son seul point sensible c’est le fait qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants. Elle se sent humiliée, blessée…
— Étant donné qu’elle en a déjà trois à son actif et qu’elle rejette son époux, elle ne devrait pas en être affectée, remarqua le professeur… ou serait-ce qu’elle souhaite en avoir un d’un autre… époux ?
— Hubert ! s’indigna la marquise. Vous ne la connaissez même pas et vous émettez une idée… insultante à son encontre ! Et je viens de vous dire que je n’avais pas reconnu la femme à qui je vouais jusqu’à présent une affection quasi maternelle…
— Et vous attribuez ce changement à la clinique ? reprit Adalbert. Il est naturel que vous ayez eu un choc en apprenant qu’elle avait atterri chez… Je ne dirai pas les fous mais ça y ressemble fichtrement. Ce qu’il faudrait savoir c’est si on l’a mise là parce qu’elle en avait besoin après ce quelle a vécu… ou si c’est dans une intention malveillante, pour qu’elle y perde au fur et à mesure la raison… et cela me paraît tout de même un peu gros à quelques centaines de mètres du domicile paternel ! C’est pourquoi il faut à tout prix que j’obtienne un entretien avec Kledermann !
— Vous avez sans doute raison mais avouez que découvrir une collusion entre le cousin Gaspard et l’assassin de la Croix-Haute donne à réfléchir.
Plan-Crépin toussota pour s’éclaircir la voix puis avança :
— Et si, au lieu de tourner en rond, on allait voir un peu du côté de Vienne ? Personne jusqu’ici n’a seulement fait allusion à M me von Adlerstein, la grand-mère de Lisa chez qui les enfants se trouvent ! Si elle a réellement besoin d’un soutien solide c’est chez elle et auprès de ses mioches qu’elle devrait être !
— C’est très juste ! admit Adalbert. C’est même curieux que la vieille dame ne se soit pas encore manifestée. Les journaux français ne sont pas interdits de séjour à Vienne ! Il faut reconnaître qu’ils ont été relativement discrets grâce à Langlois, j’imagine. Aucun n’a fait ses gros titres du « drame de la Croix-Haute ». On a seulement signalé que les pseudo-Borgia avaient fait sauter le château avant de prendre la fuite mais qu’on avait pu libérer leurs prisonniers. Il est très possible que la comtesse ne sache rien… surtout si elle n’est pas dans son palais viennois mais à Rudolfskrone, son château d’Ischl.
— Pour l’instant, coupa M me de Sommières, je crois qu’il ne faut pas la déranger. Elle n’ignore pas, lorsqu’on lui confie les enfants, qu’il s’agit surtout de les mettre sous la protection de ses résidences qui sont de véritables forteresses intérieures. Il est probable que son gendre se soit chargé de la tenir au courant puisque c’est lui qui a payé la rançon, et se rendre auprès d’elle maintenant équivaudrait peut-être à la désigner comme prochaine cible. On avisera plus tard, en accord avec Langlois, et c’est moi qui m’en chargerai.
Il n’y avait rien à ajouter et on se sépara là-dessus.
— Tout compte fait, recommanda Adalbert aux deux nouveaux amis, tandis que les dames s’éloignaient, continuez donc à fouiller vos ruines. Je sais d’expérience que cela peut donner des résultats surprenants… On vous tiendra au courant !
Le samedi matin, comme prévu, Aldo fit ses adieux à l’hôpital et à ceux qui l’avaient si admirablement soigné… Adalbert s’était chargé de lui acheter des vêtements – il refusait l’idée de partir en robe de chambre ! – à sa taille et aussi proches que possible de ses goûts mais comme ses objets personnels – montre, portefeuille, briquet et porte-cigarettes en or à ses armes comme la sardoine gravée que, depuis le XVI e siècle, se transmettaient les princes Morosini – avaient disparu, le rescapé éprouvait le désagréable sentiment d’être quasiment nu. Pire encore : son anneau de mariage dont son annulaire ne gardait plus qu’une trace légère :
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