La Collection Kledermann
antique Américaine un rien piquée ?
— C’est tout à fait ça !
— Alors applaudissons ! J’ajoute que je donnerais cher pour voir Hubert dans ses falbalas !
Pierre Langlois se leva, s’inclina pour baiser la main de son hôtesse :
— Moi aussi, et si la situation n’était pas aussi dramatique, je serais vraiment content. Il vous reste, messieurs, à me donner un plan situant les deux villas et quelques précisions autour. Vous m’apporterez ça demain ! Je compte envoyer sur les lieux deux de mes hommes qui parlent italien : Sauvageol fera un domestique fort convenable et Durtal, plus bourgeois d’aspect, s’installera dans l’hôtel le plus proche, jouera les touristes et assurera la liaison avec moi. Au besoin, je ferai un saut là-bas…
— Avez-vous découvert quelque chose sur Gaspard Grindel ? demanda Morosini.
— Rien pour le moment. Il a repris ses fonctions à la banque et vit normalement en apparence. Inutile de rappeler qu’on le surveille ! À demain, messieurs !
Situé place Mazas, l’institut médico-légal élevait (6) en bordure de la Seine une bâtisse de briques dont un mur quasi aveugle plongeait sur la berge du fleuve puis remontait jusqu’au niveau de la chaussée, laissant un assez large espace planté d’arbres au débouché du pont d’Austerlitz. Aldo n’y était jamais venu et quand Adalbert y rangea sa voiture, il ne put se défendre d’un frisson désagréable à la pensée de l’épreuve au-devant de laquelle il allait et que Langlois avait décrit sans nuances. Ce qui valait mieux d’ailleurs en vertu de l’axiome assurant qu’un homme averti en vaut deux.
— Pas très folichon ce qui nous attend ! émit Adalbert d’une voix enrouée qu’il corrigea aussitôt en se raclant la gorge. Ce qui réconforta quelque peu Aldo.
— Toi aussi tu appréhendes ? Pourtant avec…
— Ne recommençons pas avec mon métier ! Entre une momie bien sèche et bien propre et le cadavre tout frais d’un ami, il y a la largeur d’un océan ! On va d’abord laisser partir ceux-là !
En effet, un corbillard entouré de quelques personnes en deuil attendait devant la grande porte à double battant ouverte pour livrer passage aux employés des pompes funèbres portant un cercueil. Ils se découvrirent tandis que la voiture de Langlois venait se ranger à côté de la leur. Lui non plus ne bougea pas avant que le cortège se fût mis en marche.
— Venez à présent ! invitat-il après avoir jaugé d’un coup d’œil la mine de Morosini qui eut un bref ricanement :
— N’ayez pas peur, je ne vais pas m’évanouir !
Il en était moins sûr quand, un moment après, un employé ouvrit devant eux la porte d’une salle sentant fortement le formol où le médecin légiste attendait auprès d’une table couverte d’un drap blanc sous lequel un corps se profilait. Le docteur Louis était un homme de taille moyenne au visage mince et intelligent allongé d’une courte barbe grisonnante, au regard attentif, qui s’attarda un instant sur la figure de Morosini :
— J’espère que vous les avez prévenus, commissaire ?
— Naturellement. Allez-y !
Le légiste et son assistant prirent chacun un coin du drap pour le rabattre jusqu’aux genoux sans déranger le linge pudique posé sur le ventre.
Repoussant farouchement la tentation de fermer les yeux, Aldo enfonça ses ongles dans les paumes de ses mains et s’obligea à fixer ce que la haine de certains avait fait de l’un des hommes les plus remarquables qu’il ait connus. Derrière lui, il entendait la respiration un peu saccadée d’Adalbert mais il ne se retourna pas, ne bougea pas, ne cilla pas. Au contraire, il scruta ce corps, méticuleusement nettoyé comme il convenait, saisi d’une bizarre impression…
— Le reconnaissez-vous ? demanda le docteur Louis.
— Je ne sais pas… Il y a quelque chose qui m’échappe…
— Cela peut se concevoir, intervint Langlois. Il est salement amoché…
— Sans doute !… Quelque chose me souffle pourtant que ce n’est pas lui… que ce ne peut pas être lui ! Ne me demandez pas pourquoi !
Et il se détourna pour avaler d’un seul coup le petit verre de rhum que lui offrait le médecin.
— J’éprouve la même sensation, murmura Adalbert. Ce sont peut-être ses mains. On s’est acharné sur elles au point qu’elles n’ont plus de peau. Difficile dans ces conditions de relever les empreintes !
— Quand on torture quelqu’un on n’y regarde
Weitere Kostenlose Bücher