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La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

Titel: La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Verne
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paisible terre de Bretagne, les seigneurs n’avaient jamais eu à se défendre contre personne, pas même contre leurs vassaux.
    Depuis de longues années, la famille du comte exerçait une influence féodale presque sans conteste sur le pays. Les Chanteleine furent peu courtisans, n’étant pas d’humeur souple, et ils n’allèrent pas deux fois, en trois cents ans, faire leur cour au roi ; ils se croyaient Bretons avant tout et séparés du reste de la France. Pour eux, le mariage de Louis XII et d’Anne de Bretagne n’avait jamais eu lieu, et ils en voulurent toujours à cette fière duchesse de ce qu’ils appelaient à haute voix « une mésalliance », pis même, une trahison.
    Mais s’ils régnaient chez eux, les Chanteleine pouvaient être cités comme modèles aux rois de France et leur donner des leçons de gouvernement. D’ailleurs, le résultat le prouvait sans réplique, car ils étaient et furent toujours aimés de leurs paysans.
    Cette noble et estimable famille, d’humeur fort pacifique, fournit peu d’illustres capitaines ; les Chanteleine n’étaient pas nés soldats ; à une époque où endosser le harnais de guerre semblait être le premier devoir du gentilhomme, ils demeurèrent paisiblement dans leurs terres et se rendirent heureux du bonheur qu’ils créaient autour d’eux. Depuis Philippe Auguste, où la croisade, c’est-à-dire la défense de la religion, entraîna leurs ancêtres en Terre sainte, pas un Chanteleine ne revêtit l’armure ou ne ceignit le baudrier. On comprend dès lors qu’ils fussent peu connus de la Cour, à laquelle ils ne demandèrent jamais aucune faveur, ne se souciant pas de les mériter.
    Leurs biens patrimoniaux, sagement administrés, avaient acquis une importance considérable.
    Aussi la propriété de Chanteleine, en prés, en marais salants et en terres labourées, comptait parmi les plus considérables du pays, tout en demeurant inconnue au-delà d’un rayon de cinq ou six lieues ; grâce à cette situation, et quoique les communes environnantes, le Fouesnant, Concarneau, Pont-l’Abbé eussent déjà reçu la sanglante visite des républicains de Brest et du Finistère, le château de Chanteleine avait échappé comme par miracle à l’attention des Municipalités, quand le comte le quitta pour la première fois.
    Peu guerrier de son naturel, le comte, cependant, déploya de grandes qualités militaires pendant cette campagne de la Vendée. Avec la foi et le courage, on est partout soldat. Le comte se conduisit en héros, lui dont le caractère paisible n’annonçait pas de telles dispositions ; en effet, les premières tendances de son esprit le dirigèrent vers la carrière ecclésiastique, et il avait passé deux ans au grand séminaire de Rennes ; il était même occupé de ses études théologiques, lorsque son mariage avec sa cousine, M lle  de La Contrie, le jeta dans une voie tout opposée.
    Mais le comte ne pouvait rencontrer une plus digne compagne de sa vie. Cette jeune fille si séduisante devint une femme courageuse et dévouée. Les premières années du mariage du comte et de la comtesse, avec leur fille Marie à élever, dans cette vieille propriété de famille, au milieu de serviteurs, humbles amis vieillis au paternel service des Chanteleine, furent aussi heureuses qu’il est donné à un homme d’en passer en ce monde.
    Ce bonheur rejaillissait sur tout le pays, qui vénérait son seigneur. Les habitants se croyaient plutôt les sujets du comte que ceux du roi de France, et cela se conçoit ; ils n’avaient avec ce dernier que des relations désagréables, tandis qu’en toute occasion la famille de Chanteleine leur venait en aide. Aussi ne rencontrait-on pas un malheureux dans le pays, pas un mendiant ; depuis un temps immémorial, aucun crime n’avait été commis dans cette partie reculée de la Bretagne. On comprend donc l’effet que produisit le vol de ce Karval, un Breton cependant, entré depuis deux ans au service du comte, quand celui-ci fut obligé de le chasser du château. En agissant ainsi, d’ailleurs, le comte ne fit que prévenir la justice des paysans, qui n’auraient pas souffert un voleur dans le pays.
    Ce Karval était bien un Breton, mais un Breton qui avait voyagé, vu du pays, et sans doute de vilains exemples avec ; on disait qu’il avait visité Paris, que ces paysans regardaient comme un endroit chimérique, et même, les plus superstitieux, comme l’antichambre de

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